Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

BIBLIOTHÈQUES NUMÉRIQUES

Quelle pérennité pour les documents numériques ?

Les données numériques dépendent de leur support de stockage, dont la durée de vie ne peut faire l'objet que d'estimations. Celle-ci est aussi fonction des systèmes d'exploitation ou des logiciels traitant les données. Certes, des copies permettant de réactualiser et de porter sur d'autres systèmes des données déjà existantes sont toujours possibles, à condition qu'un tel programme de conservation « dynamique » ait bien été envisagé. Mais des contrôles de qualité doivent, au moins statistiquement, vérifier l'intégrité des données conservées. En outre, dans le numérique, conservation équivaut à pérennité des accès : le document se définit par des dizaines de liens (qu'on estime à une moyenne de cinquante environ par page) entretenus avec d'autres sites. Les « liens rompus », écueils de navigation, doivent faire l'objet de contournements informatiques utilisant des indexations de contenus.

Le problème se situe à un autre niveau. Le dépôt légal des documents imprimés est quantitativement limité, et, surtout, canalisé par des formes d'édition ou d'impression clairement identifiées : il y a peu de risques qu'un écrivain ou un scientifique majeur, par exemple, passe inaperçu parce qu'il aurait été publié de façon trop confidentielle. Au contraire, le Web, par sa nature même, multiplie à l'évidence ce genre d'écueil, tant sur le plan quantitatif que qualitatif. Dès lors, archiver l'ensemble du Web, comme se proposent de le faire plusieurs projets de grandes bibliothèques, ne fait que repousser un problème heuristique : que doit-on filtrer, évaluer, afin de sélectionner ce qui mérite de l'être – autant de dimensions philosophiques qui renvoient au sens de ce qu'une société, une culture souhaitent conserver, et en vue de quel avenir. À cet égard, une bibliothèque – et une bibliothèque numérique encore moins ! – n'est nullement coupée des communautés savantes (ou d'opinion, culturelles, de pensée...) qui peuvent participer à une telle réflexion sur la pérennité des documents. Encore faut-il que cette question des productions vivantes susceptibles d'être conservées en priorité fasse socialement débat. Globalement, les bibliothèques, qu'elles soient nationales, scientifiques ou thématiques, devraient faire apparaître plus clairement ce qu'elles conservent des sites Web, pour quelles raisons, et au sein de quelles problématiques.

La notion même de document à conserver fait elle-même problème : pour une page du Web, on parle d'une stabilité de quelques semaines en moyenne, et beaucoup de sites ne sont que des éléments fugaces de communication. Dès lors, ceux-ci ont-ils vocation à être davantage conservés que des paroles privées ? La distinction entre document et archive fait problème, du fait que sont profondément dérégulées les instances de validation éditoriale. Cette médiation classique venant à manquer, les bibliothèques se trouveraient placées devant la gageure d'un impossible dépôt légal de toute « publication privée » (commerciale, personnelle, institutionnelle), si cette notion paradoxale peut avoir un sens.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : enseignant de philosophie, École normale supérieure, lettres et sciences humaines, Lyon

Classification

Pour citer cet article

Yannick MAIGNIEN. BIBLIOTHÈQUES NUMÉRIQUES [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Gallica, bibliothèque numérique de la B.N.F. - crédits : Gallica

Gallica, bibliothèque numérique de la B.N.F.

Autres références

  • CULTURE NUMÉRIQUE

    • Écrit par Jean-Yves MOLLIER
    • 4 509 mots
    • 1 média
    ...digital immigrants est éclairant de ce point de vue, puisque les forts lecteurs de livres et de revues passent aujourd'hui une partie de leur temps à naviguer sur la Toile, à aller de Gallica 2 vers la Bibliothèque électronique du Québec ou Google Print afin d'y puiser la nourriture spirituelle qu'ils...
  • DARNTON ROBERT (1939- )

    • Écrit par Roger CHARTIER
    • 1 024 mots

    L’historien américain spécialiste du xviiie siècle Robert Darnton a entrepris dès les années 1960 une grande recherche sur les Lumières et leur rôle dans la fin de l'Ancien Régime.

    Diplômé de Harvard et d'Oxford, Robert Darnton, après avoir enseigné l'histoire européenne à Princeton de...

  • ÉDITION ÉLECTRONIQUE

    • Écrit par Alexandra SAEMMER
    • 4 013 mots
    • 3 médias
    ...de la marque d’une liseuse donnée. Elles ne tiennent pas compte non plus des pratiques de partage, d’échange et de don symboliquement liées au livre. Nombreux sont les lecteurs qui s'interrogent sur la patrimonialisation possible de ces bibliothèques numériques. De nouvelles structures d’édition...
  • INFORMATION : L'UTOPIE INFORMATIONNELLE EN QUESTION

    • Écrit par Armand MATTELART
    • 8 126 mots
    • 1 média
    « Notre mission est d'organiser l'information du monde et de la rendre universellement accessible et utile ». C'est ainsi que la firme Google annonçait en décembre 2004 son méga-projet d'une nouvelle bibliothèque d'Alexandrie en numérisant les fonds de quelques-unes des plus grandes bibliothèques...

Voir aussi