ÉDITION ÉLECTRONIQUE
Pendant plus de cinq siècles, notre culture de l'écrit a été façonnée par les caractéristiques matérielles du support papier, ses pratiques de conception et de réception. Aujourd’hui encore, beaucoup de lecteurs ont fait leurs premières expériences de déchiffrage du texte et de l’image par le biais des supports imprimés. L’édition sur support numérique est venue transformer progressivement ces pratiques. Sans pour autant mettre en péril l’édition papier : depuis plusieurs années, des journaux, des revues, des magazines proposent des versions sur Internet, et le livre se donne aussi à lire sur les écrans d’ordinateur, de tablette et de liseuse.
En passant du papier au numérique, le texte et l’image changent de support et de nature. À travers l’hyperlien, ils se connectent à d’autres textes et rentrent avec ceux-ci dans diverses relations de (dé-)cohérence. Ils deviennent manipulables, mobilisant des gestes de plus en plus diversifiés qui dépassent de loin le simple clic. Notamment sur les réseaux dits « sociaux », les textes s’ouvrent à la contribution, voire à la collaboration. L’animation, explorée par exemple dans la poésie numérique, le livre de jeunesse « enrichi » ou les bannières publicitaires en ligne, inscrit textes et images dans une temporalité qui les rapproche de l’expérience filmique. Leur nature programmée les rend calculables, modifiables, mais aussi traçables : nos pratiques de lecture laissent des « empreintes digitales » qui peuvent enrichir les connaissances, mais qui s’exploitent aussi à des fins parfois purement marchandes.
Édités à l’aide d’outils de conception et de lecture, textes et images numériques sont formatés par des « architextes » logiciels (Y. Jeanneret et E. Souchier) généralement invisibles à la surface de l’écran, et par des formes graphiques sur lesquelles l’auteur a parfois peu d’influence. Désormais, dépendants de l’actualisation par la machine, avec ses systèmes d’exploitation et ses outils en continuelle transformation, textes et images numériques deviennent instables, éphémères. Les pratiques de réception s’en trouvent modifiées, même si le recul manque encore pour évaluer les conséquences précises de ces changements sur les facultés de concentration, de raisonnement et d’argumentation.
Face aux métamorphoses de la matérialité du texte et de l’image et de leurs pratiques, le monde de l'édition imagine depuis plusieurs décennies des formats de publication qui tantôt essaient de conforter les habitudes séculaires acquises sur support papier, tantôt modélisent de nouvelles pratiques.
Le livre numérisé
Un large pan de l’édition électronique repose sur la numérisation de livres initialement édités sur papier, qui sont codés en une suite de 0 et de 1 manipulables par l’ordinateur. Il existe deux grandes façons de procéder. La première, désormais moins employée, consiste à coder le document en mode image : la page est analysée en points ( pixels) plus ou moins nombreux auxquels correspondent des valeurs numériques indiquant leur position et leur couleur. On obtient ainsi une reproduction électronique du document qui en restitue fidèlement la mise en page. La deuxième technique consiste à coder les caractères selon une norme qui attribue à chacun une valeur numérique déterminée. Ce mode rend possible l'automatisation de pratiques comme la recherche de tous les contextes d'un mot ou d'une chaîne de caractères. Il présente cependant l'inconvénient de faire disparaître la forme propre du texte qui, par les polices de caractère, les couleurs et la mise en espace, influe pourtant fondamentalement sur l’émergence du sens.
En effet, le livre « homothétique », dont on parle parfois pour laisser croire que le texte numérique peut constituer une copie conforme du texte papier, n’existe pas si l’on considère la matérialité du texte et de l’image comme une composante aussi importante que ce qu’ils disent ou représentent. On ne lit pas le même texte dans un livre papier ou sur une liseuse, même si le nombre et l’enchaînement des mots et phrases sont les mêmes.
Le livre numérisé, en conquérant de plus en plus de lecteurs, conserve certes des caractéristiques rappelant l’héritage du papier, qui peuvent constituer des repères rassurants : généralement proposé en noir sur blanc, il se « feuillette » par un geste qui imite celui fait sur papier ; doté d’une couverture et d’un sommaire et paginé, il est signé par un auteur et souvent commercialisé par un éditeur. Certaines fonctionnalités du livre numérisé s’efforcent de pallier des manques que le lecteur habitué au livre papier peut ressentir devant sa copie-écran : sur liseuse notamment, l’épaisseur et le volume peuvent être ainsi compensés par l’indication du temps de lecture restant. Enfin, d’autres caractéristiques du livre numérisé sont authentiquement numériques et ne peuvent donc se retrouver sur papier : la possibilité de changer la police et la taille des caractères, des modes de recherche automatisée, d’annotation partagés en réseau, et bien sûr le faible « poids » qui permet de stocker une bibliothèque entière sur un microsupport comme la liseuse… Font cependant également partie de ces caractéristiques le besoin matériel d’électricité, le risque de dysfonctionnement technique, l’obsolescence plus ou moins programmée des formats du livre numérisé et de ses supports.
L’édition du livre numérisé a été peu à peu investie par les grands et petits éditeurs papier. Elle se trouve régie par de nouvelles règles de distribution en vigueur sur les plates-formes de vente de nouveaux acteurs industriels : celles-ci ont tendance à verrouiller les aspects techniques et commerciaux. Ainsi, il est parfois impossible de s'approvisionner ailleurs que chez le distributeur de la marque d’une liseuse donnée. Elles ne tiennent pas compte non plus des pratiques de partage, d’échange et de don symboliquement liées au livre. Nombreux sont les lecteurs qui s'interrogent sur la patrimonialisation possible de ces bibliothèques numériques. De nouvelles structures d’édition s’inscrivant dans la volonté de casser les monopoles se mettent néanmoins en place. Et des réseaux militant pour le téléchargement gratuit proposent des formats libres de droit.
Pour les textes du patrimoine culturel tombés dans le domaine public, des bibliothèques numériques portées par des institutions culturelles comme la Bibliothèque nationale de France mettent depuis de nombreuses années gratuitement à disposition des centaines de milliers de titres, poursuivant ainsi l’une des utopies fondatrices d' Internet : la constitution d’une bibliothèque universelle accessible à tous. À ses débuts, l'édition numérique a été prioritairement orientée vers des finalités de conservation, de transmission et de consultation de grands corpus du domaine commun. La Bibliothèque nationale de France a commencé dès 1992 à numériser des millions de documents, dont plusieurs centaines de milliers de livres. Ce projet, baptisé Gallica en 1997, constitue une référence importante, même si des acteurs du secteur privé se sont également lancés dans la numérisation de corpus à très grande échelle. C’est le cas du projet Google Books, qui réunit des millions d’ouvrages sur une plate-forme en ligne, mais dont seulement une partie est consultable. En Europe, le projet Bibliotheca Universalis, commencé en 1995, s’était proposé de rivaliser, pour les langues européennes, avec le projet Gutenberg consacré à la numérisation en mode texte du patrimoine littéraire de langue anglaise. Le projet Europeana, lancé en 2005 et consacré au patrimoine européen, donne accès à des dizaines de millions de documents.
L’offre des bibliothèques numériques est aujourd’hui diversifiée et inclut des formats éditoriaux pour tablette et liseuse qui améliorent le confort de lecture, rendant les textes du patrimoine culturel non seulement accessibles, mais véritablement lisibles.
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Écrit par
- Alexandra SAEMMER : professeur des Universités en sciences de l'information et de la communication, université de Paris-VIII
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Médias
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