SCHÖNBERG ARNOLD (1874-1951)
« Schönberg est mort » : tel est le titre, resté fameux, d'un article que le jeune Pierre Boulez écrivit peu après la disparition de l'auteur de Pierrot lunaire. Il s'agit d'un cas classique de « meurtre du père », car le compositeur Boulez n'existerait pas sans Schönberg, pas plus que Stockhausen, Nono (son gendre !) ou les autres pionniers du sérialisme dans les années d'après-guerre ; ceux-ci se réclamaient sans doute davantage d'Anton Webern (sauf, précisément, Nono), mais Webern, tout comme Alban Berg, est impensable sans Schönberg.
Arnold Schönberg demeure plus admiré qu'aimé (sauf d'une minorité) ; il suscite aujourd'hui encore bien des polémiques et des aversions, voire des haines, et sa musique, à l'exception de l'une ou l'autre page de jeunesse, ne s'est pas intégrée au grand répertoire des concerts : il n'atteint pas, et n'atteindra sans doute jamais, à la popularité de son grand antipode, Igor Stravinski. Et pourtant, il a eu encore plus d'importance historique, la plus grande pour son temps, un temps qui suit immédiatement celui de Debussy.
L'homme et l'œuvre sont d'un abord austère, abrupt ; bien des musiciens d'aujourd'hui, et non des moindres, à qui on demanderait quel est le plus grand compositeur de la première moitié du xxe siècle, seraient tentés de lui appliquer le « Victor Hugo, hélas... » de Gide. Sa production, de son premier chef-d'œuvre, Verklärte Nacht (La Nuit transfigurée, 1899), au Psaume moderne qu'il laissera inachevé en 1951, renferme nombre des œuvres fondamentales de ce temps ; pourtant, elle n'est pas particulièrement abondante et son inspiration est inégale, si sa facture reste toujours un objet d'étude et d'admiration.
Cet homme, qui a révolutionné la musique en mettant fin à trois siècles d'hégémonie du système tonal, s'est défini comme « un conservateur forcé par les circonstances de devenir un radical » ; et ses opinions politiques (même aux États-Unis, il demeura partisan de la monarchie des Habsbourg, dont il regrettait la disparition), ainsi que sa religiosité profonde confirment ces tendances traditionalistes. C'est d'ailleurs en assumant l'héritage des grands maîtres de la tradition austro-allemande, de Bach à Brahms et à Mahler, maîtres dont il se considérait à bon droit comme le descendant direct, qu'il fut amené en toute logique à franchir les limites du langage tonal. Celui-ci était arrivé à saturation par un chromatisme de plus en plus envahissant (dans la lignée directe du Tristan de Wagner), et, de ce point de départ, qui est à peu près celui de ses premières œuvres, Schönberg parvint à la suspension des fonctions tonales par une évolution, non une révolution.
Après une quinzaine d'années de création en état d'apesanteur harmonique (l'émancipation de la dissonance et la fin de l'harmonie cadentielle-résolutive), il ressentit la servitude de tant de liberté, et le besoin d'organiser ce nouveau monde sonore pour le soustraire au danger de l'anarchie. L'élaboration de la méthode d'écriture « avec douze sons n'ayant de rapports qu'entre eux » (sa propre définition), devenue célèbre sous le nom de dodécaphonisme sériel, obéit donc avant tout au besoin de créer une tradition nouvelle, destinée à suppléer les aspects caducs de l'ancienne. Schönberg et ses disciples les plus proches appelaient d'ailleurs cette méthode la loi (das Gesetz), et ce n'est pas l'un des moindres paradoxes du dodécaphonisme que cette suppression de la hiérarchie entre les sons et entre les intervalles, venant d'un homme aussi ancré dans le conservatisme social et idéologique.
Débuts et premières compositions
Arnold Schönberg, né à Vienne le vendredi[...]
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Écrit par
- Harry HALBREICH : musicologue, professeur d'analyse musicale
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Média
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