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CROZAT ANTOINE, marquis du Châtel (1655-1738)

L'un des plus grands financiers de son temps et l'homme le plus riche de Paris si l'on en croit Saint-Simon, qui ne l'aimait pas. Le père d'Antoine Crozat, marchand-banquier, seigneur de deux terres et d'un château, vit ses affaires prospérer à Toulouse, puisqu'il fut appelé deux fois au capitoulat, en 1674 et en 1684. Ses deux fils, Antoine et Pierre, devinrent à leur tour financiers. Antoine est à la fois au centre et en marge du groupe de financiers montpelliérains ; mais, très lié à la haute banque protestante, il entretient des relations avec Genève, Francfort, Gênes, les pays baltes et nordiques, et participe aux opérations lyonnaises pour collecter les fonds nécessaires à la guerre de Succession d'Espagne (cf. H. Luthy, La Banque protestante en France, Paris, 1959). Ce clan financier contrôle le port de Sète et les compagnies méditerranéennes créées par Colbert ; cette diversification permet à Crozat d'échapper à la crise qui affecta gravement Samuel Bernard et son groupe en 1709. Le réseau financier de Crozat repose sur une politique d'alliances matrimoniales ; lui-même épouse, en 1690, la fille de Legendre dont la fortune est considérable et qui est uni aux Doublet, depuis longtemps au service des Orléans. En deux générations, la seule famille Crozat compte au moins une quinzaine d'officiers supérieurs de finance, plusieurs directeurs de compagnies, un ministre de Louis XV, deux contrôleurs généraux et un grand nombre de gens qui, par leur influence ou leurs fonctions, représentent une force avec laquelle on doit compter. Il y a, en réalité, symbiose entre le milieu des officiers de finance et le personnel dirigeant des grandes compagnies commerciales à monopole des xviie et xviiie siècles. Crozat, receveur général des finances de Bordeaux, trésorier de l'Extraordinaire des guerres à Paris, un des banquiers de Louis XIV, trésorier du duc de Vendôme, investit dans les armements maritimes, entraînant avec lui Doublet, Legendre et tout le clan familial qui s'empresse de le suivre à Saint-Malo et à Lorient. Entre 1700 et 1717, Crozat mit la main sur tout le commerce maritime du royaume de France ; il fonda même, en 1712, la Compagnie de la Louisiane. Il pouvait réunir des capitaux importants dans le cadre de sa famille et disposait de correspondants en Angleterre et aux Pays-Bas. Cela préfigure ce qui se passera au temps de Law, l'ensemble des compagnies étant sous le contrôle théorique du ministre des Finances. Crozat, grâce à ses liens avec le duc d'Orléans, avança l'argent nécessaire au Régent pour organiser les nouveaux pouvoirs. Lorsque fut mis en place le système de Law, Crozat spécula, soutenant et ruinant à la fois la position de Law, au gré de ses intérêts. Il fut du groupe qui liquida le passif de l'Écossais avec le contrôleur général Le Peletier des Forts, les armateurs malouins et J. Pâris-Duverney. Il fit construire à ses frais le canal qui unit le bassin de l'Escaut à ceux de la Somme et de la Seine ; livré au trafic en 1738, il fut racheté par l'État à ses héritiers en 1767. La carrière de Crozat fut celle d'un homme ambitieux, orgueilleux, sans scrupules, avide d'argent et d'honneurs : homme d'action, dur et persévérant comme le peignent tous ses contemporains. Le mécénat des financiers n'apparaît pas comme un fait isolé, mais comme un phénomène social et collectif. Y. Durand (Les Fermiers généraux au XVIIIe siècle) a montré l'existence d'une noblesse financière qui, au siècle des Lumières, se hisse aux côtés de l'épée et de la robe. La protection des artistes fait alors partie de son style de vie et devient même une nécessité. En somme, Crozat, par sa réussite, est le symbole d'une époque, celle de la guerre de Succession d'Espagne et de la Régence[...]

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Pour citer cet article

Jean-Marie CONSTANT. CROZAT ANTOINE, marquis du Châtel (1655-1738) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ANCIEN RÉGIME

    • Écrit par Jean MEYER
    • 19 103 mots
    • 3 médias
    ...rôle déterminant ? Les banques italiennes, lyonnaises et allemandes financent la politique extérieure française au xvie siècle ; Samuel Bernard et Crozat sont des figures typiques de la fin du règne de Louis XIV ; la banque protestante a suscité une grande étude récente. Il s'agit là de simples exemples...
  • CONCERT

    • Écrit par Jacques CHAILLEY, Universalis
    • 2 852 mots
    La France suivit cet exemple : en 1724, les concerts réguliers de musique italienne que depuis 1713 donnait chez lui le financier mécène Pierre Crozat furent, sur l'intervention de Mme de Prie, transformés en concerts d'abonnement payants à intervalles réguliers (deux fois par semaine, les jeudis...
  • LAW JOHN (1671-1729)

    • Écrit par Abel POITRINEAU
    • 2 122 mots
    ...réparti aux actionnaires. Déjà la compagnie de commerce avait été fondée et avait reçu l'actif et le privilège de la compagnie créée en 1713 par Antoine Crozat pour mettre en valeur la Louisiane. Très vite, l'exploitation des Antilles, du Sénégal, du Canada, allait lui être confiée ; elle recevait un capital...

Voir aussi