ERNAUX ANNIE (1940- )
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Le « choc ontologique » de la sociologie
Fidèle à la langue partagée avec ses parents, Annie Ernaux revendique une « écriture plate ». Esthétiquement osé, ce choix qui lui fut reproché relève d’une décision éthique : l’écrivaine se fait attentive aux parlures d’un univers socialement déterminé, dont elle prend conscience à la lecture de Pierre Bourdieu. Dans un article publié à la mort du sociologue, elle rappelle le « choc ontologique » qu’a constitué pour elle, au début des années 1970, la lecture des Héritiers et de La Distinction : « […] pour peu qu’on soit issu soi-même des couches sociales dominées, l’accord intellectuel qu’on donne aux analyses rigoureuses de Bourdieu se double du sentiment de l’évidence vécue, de la véracité de la théorie en quelque sorte garantie par l’expérience : on ne peut, par exemple, refuser la réalité de la violence symbolique lorsque, soi et ses proches, on l’a subie ». Elle appelle « la preuve par corps » cette lucidité éprouvée avant d’être pensée.
Elle s’attache à creuser cette violence dans ce qu’elle nomme désormais « auto-socio-biographique », en reconstituant les habitus et l’ethos d’un milieu qui fut le sien. Dans La Honte, alors qu’elle échoue à retrouver la petite fille qu’elle fut par le seul travail de la mémoire, Ernaux met la sociologie au service de la reconstitution littéraire. C’est elle qui attire l’attention sur les expressions, les gestes et les goûts socialement marqués : « Pour atteindre ma réalité d’alors, je n’ai pas d’autre moyen sûr que de rechercher les lois et les rites, les croyances et les valeurs qui définissaient les milieux, l’école, la famille, la province où j’étais prise […] » D’abord analytique, la requête sociologique finit ainsi par produire une mémoire autant qu’une intellection. Quelques années plus tard, le récit de filiation lève dans L’Autre Fille (2011) le silence familial sur une sœur aînée, décédée de la diphtérie à six ans. Il accompagne enfin la restitution douloureuse d’une fin de vie maternelle dans une écriture clinique, en évoquant sans fard la dégénérescence physique et cérébrale engendrée par la maladie d’Alzheimer, sur laquelle Annie Ernaux est l’une des premières à écrire (« Je ne suis pas sortie de ma nuit », 1997).
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Écrit par :
- Dominique VIART : professeur des Universités, université Paris Nanterre, Institut universitaire de France
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Pour citer l’article
Dominique VIART, « ERNAUX ANNIE (1940- ) », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 05 février 2023. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/annie-ernaux/