- 1. Historique
- 2. Les systèmes population-environnement
- 3. La croissance exponentielle et le paradigme de la régulation dépendante de la densité
- 4. Fluctuations, limitation et régulation des populations
- 5. L'accès aux paramètres démographiques
- 6. Biodémographie et biologie évolutive
- 7. Gestion et conservation des populations
- 8. Conclusion
- 9. Bibliographie
POPULATIONS ANIMALES (DYNAMIQUE DES)
Pour le biologiste, une population animale ou végétale est formée par définition d'individus susceptibles de se reproduire entre eux. Celle-ci subit, au cours du temps, des changements incessants liés à la disparition (mortalité, émigration) et à l'apparition de nouveaux sujets (reproduction, immigration). Toute population animale ou végétale est donc l'objet d'une dynamique qui soulève de nombreuses questions scientifiques. Les plus immédiates sont proches de l'histoire naturelle, mais posent inévitablement des interrogations plus profondes concernant la théorie de l'évolution : par exemple, comment et pourquoi certaines espèces d'arbres ont-elles une longévité individuelle de plusieurs millénaires alors que certains végétaux meurent immédiatement après leur reproduction annuelle ? D'autres questions ne font que souligner l'étonnement des scientifiques devant la diversité du monde vivant : comment et pourquoi certaines populations ont-elles survécu à d'importantes vicissitudes de leur environnement, comme les grandes glaciations du Quaternaire, alors que d'autres, comme divers grands mammifères en Amérique du Nord, dans l'exemple des dernières glaciations, se sont éteintes ? Dans le contexte d'une emprise croissante de l'homme sur la biosphère, dont la prise de conscience s'est concrétisée par la conférence de Rio (1992), les biologistes sont ainsi interrogés sur la nature et l'ampleur d'une véritable crise des extinctions, et sur les problèmes d'érosion de la diversité biologique ou biodiversité. D'autres questions concernant la dynamique des populations touchent directement à l'environnement de l'homme et son bien-être : pourquoi telle ou telle population d'insectes présente-t-elle de véritables explosions intermittentes ? Les questions de ce genre incorporent souvent de nos jours une exigence de prédiction en raison des implications économiques potentielles de telles pullulations. Elles correspondent à une demande sociale de gestion du monde vivant, et donc des populations, qui assure une perspective de pérennité ou de « développement durable ».
La dynamique des populations en tant que discipline scientifique s'est construite par fusion de diverses approches, empiriques comme théoriques. Elle s'appuie sur la notion centrale de système population- environnement. On considère alors les individus d'une population et les interactions les plus directes avec leur environnement comme un système biologique raisonnablement isolé, en première approximation, d'un réseau d'interactions plus complexes au niveau de la communauté (ensemble d'espèces apparentées phylogénétiquement ou fonctionnellement dans un même habitat) ou de l'écosystème (ensemble des êtres vivants et de leurs interactions biotiques et abiotiques). Le système population-environnement reste cependant encore un objet biologique complexe, et, pour tenter d'en comprendre les mécanismes, la dynamique des populations moderne recourt de façon permanente à la modélisation. En effet, le caractère multiplicatif des processus de population et leur portée dans le temps font que la dynamique des populations échappe souvent à l'expérience immédiate et à l'intuition. Le premier apport de la modélisation a été de fusionner le paradigme de la croissance exponentielle (et de son impossibilité à long terme) et l'approche démographique basée sur un bilan des flux de natalité et de mortalité. Mais, dès lors que la dynamique d'une population considérée comme une entité homogène et isolée a été raisonnablement comprise, les fluctuations des populations et le rôle de l'hétérogénéité des habitats sont devenus l'objet d'une intense activité de recherche. En pratique, le lien entre la modélisation démographique et l'étude biologique des systèmes population-environnement passe par l'analyse statistique des paramètres démographiques, désormais largement fondée sur un suivi individuel qui fournit des données comparables à celles de l'état-civil dans les populations humaines. Sur ces bases, la dynamique des populations apporte donc des contributions de première importance à des recherches de biologie évolutive comme à des problèmes de gestion et de conservation de populations, qui constituent aujourd'hui une part importante des problèmes d'environnement.
Historique
L'homme n'a certainement jamais pu ignorer les fluctuations des populations animales et végétales qui l'entouraient. Le chasseur paléolithique devait ainsi bien connaître les variations d'effectifs dues aux migrations saisonnières des rennes, et de nombreux textes anciens attestent de l'inquiétude des hommes devant les pullulations animales, notamment dans la Bible, avec la « septième plaie d'Égypte » : « Quand ce fut le matin, le vent d'Orient avait amené les sauterelles... Elles couvrirent la surface de toute la terre, et la terre fut dans l'obscurité » (Exode 10, 13-15).
Le premier regard scientifique sur la dynamique des populations semble être celui de Leonardo Fibonacci, dit Léonard de Pise, dont la célèbre suite de nombres est proposée dans le Liber abaci (1202) comme réponse à un problème de multiplication de population. Mais les fondements modernes de la dynamique des populations datent clairement de Thomas Robert Malthus. En 1798, avec son célèbre énoncé « Population, when unchecked, increases in a geometrical ratio », il fonde le double paradigme de la croissance exponentielle et de son impossibilité à long terme, qui sous-tend encore toute notre compréhension de la dynamique des populations, animales comme végétales. Il n'est donc pas étonnant que les travaux de Malthus aient eu un retentissement considérable, d'une part, en donnant naissance à un débat concernant les populations humaines, débat si durable et animé que « malthusien » est devenu un qualificatif péjoratif, et d'autre part, de façon moins connue, en influençant profondément les travaux de Charles Darwin sur la sélection naturelle. En effet, Darwin a fondé l'idée de « survie du plus apte » – sans aucune connaissance, rappelons-le – des mécanismes génétiques sur l'impossibilité d'une croissance indéfinie des populations. Il illustre cette impossibilité par une superbe parabole figurant la descendance d'un couple d'éléphants qui, dans des conditions optimales, couvrirait la terre en quelques siècles. Au cours du xixe siècle se développe, sur la lancée de Malthus, une dynamique des populations quantitative et théorique, avec notamment le modèle logistique de P. F. Verhulst en 1838, généralisée dans la première moitié du xxe siècle à l'étude de la dynamique de plusieurs espèces en interaction. C'est alors « l'âge d'or de l'écologie théorique », avec les modèles de compétition et de relations prédateur-proie d'Alfred J. Lotka, de Vito Volterra et de V. A. Kostitzin. Ces derniers modèles, tout en s'écartant de l'étude d'une seule population en tant que telle, ont fortement contribué aux débats théoriques des années 1970 sur la dynamique des communautés d'espèces. Toutes ces modélisations restent cependant théoriques pour deux raisons : tout d'abord, elles considèrent un monde idéalisé, invariable, avec une échelle de temps continue et homogène, qui ignore par exemple la forte saisonnalité de la plupart des populations naturelles ; ensuite, elles manipulent des taux de variation de populations sans les exprimer en termes de bilan de flux d'individus (mortalité, fécondité, migration).
La prise en compte des paramètres de fécondité, de mortalité et de migration est l'apanage d'une lignée parallèle de travaux où s'illustrent Alfred J. Lotka au début du xxe siècle et, plus récemment, Patrick H. Leslie, mais dont l'origine remonte au mathématicien Leonhard Euler en 1760 dans un travail passé longtemps inaperçu. Tous ces travaux auxquels on réserve le nom de démographie constituent les fondements de la dynamique des populations, que celles-ci soient humaines, animales ou végétales. En faisant apparaître des caractéristiques mesurables, avec plus ou moins de difficulté, comme des taux de fécondité et de mortalité, la démographie ouvre la voie à une compréhension approfondie de la dynamique des populations. Mais ce n'est que depuis les années 1940 que la démographie animale et végétale, c'est-à-dire l'étude des flux d'individus, s'est développée. Il est vrai que l'estimation des paramètres démographiques dans des populations naturelles n'est devenue pleinement efficace qu'avec l'essor des méthodes de marquage individuel. Les efforts en la matière sont restés longtemps anecdotiques : Izaak Walton rapporte, en 1653, comment Francis Bacon attacha un ruban à la queue de jeunes saumons et en recaptura certains six mois après, au retour de leur séjour en mer. De même, John James Audubon, naturaliste et peintre animalier, fixa en 1840 des fils d'argent aux pattes de gobe-mouchesSayornis phoebe pour voir s'ils revenaient à leur nid l'année suivante. Les oiseaux sont restés un matériel de choix en raison de la simplicité du marquage par bagues, qui s'est développé à partir des premiers travaux du Danois Hans Christian Cornelius Mortensen en 1899. Les nombreuses études à long terme (souvent sur plus de vingt ans) de populations d'oiseaux, basées sur le suivi individuel, ont d'ailleurs été un des moteurs du développement de la biologie des populations in natura. Les méthodes de table de mortalité des démographes humains peuvent servir à l'analyse démographique lorsque les populations peuvent être suivies de façon exhaustive. C'est souvent le cas des populations végétales. Mais, dans la plupart des populations animales, ce n'est pas le cas ; les données de suivi individuel sont analysées par des méthodes statistiques de capture-recapture, qui estiment la longévité en faisant la part de l'intermittence de la détection des individus. L'histoire de ces méthodes débute avec le mathématicien français Laplace, qui, en 1763, propose d'estimer l'effectif de la population française à partir du total des naissances et de l'indice des naissances par habitant dans un certain nombre de paroisses. Mais leur application à l'estimation des taux de mortalité et des autres paramètres démographiques est postérieure à 1950 et se trouve encore en plein essor.
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Écrit par
- Robert BARBAULT : professeur à l'université de Paris-VI-Pierre-et-Marie-Curie, directeur du département écologie et gestion de la biodiversité, Muséum national d'histoire naturelle, Paris
- Jean-Dominique LEBRETON : directeur de recherche émérite au CNRS, membre de l'Académie des sciences
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