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ANGRY YOUNG MEN

Un mouvement plus social qu'artistique

Dès 1953, John Wain (1925-1994) avait écrit, avec Hurry on down, une saga picaresque un peu à la manière de Joyce Cary où le personnage de Charles Lumley, qui vient de quitter l'université, dérive de petit métier en petit métier : laveur de carreaux, script-writer, aide-soignant d'hôpital, chauffeur de maître, à la recherche d'un créneau, qu'il ne trouve pas, dans la société. La classe sociale à laquelle ses études lui donneraient accès, il y étouffe ; mais il ne veut pas non plus retourner, ou aller, comme au bon vieux temps, au peuple : ce serait indécent. Alors, il cherche à rester en terrain neutre, à voyager sans passeport. Quelques mois plus tard parut le roman de Kingsley Amis (1922-1995), Lucky Jim (1954). En racontant les facéties de Jim Dixon, assistant en littérature médiévale anglaise dans une université de province qui, tout en faisant des ronds de jambe à son patron, se moque son dos de la culture en peau de lapin dont celui-ci est le porte-flambeau, Amis, au départ, n'avait voulu qu'écrire un roman comique inspiré des gags qui l'avaient fait rire dans P. G. Wodehouse, Eric Linklater ou Evelyn Waugh. Rétrospectivement, à partir de 1956, « Jim la Chance » fut vu comme un autre de ces déclassés en transit qui utilisent ce qu'il leur reste de truculence populaire pour dynamiter le mirage de « culture » auquel ils ont eu la naïveté de se laisser prendre. S'il restait ici ou là des mèches qui traînaient, Colin Wilson (né en 1931) les alluma toutes dans son essai The Outsider (printemps 1956), un pot-pourri de citations où le « nouveau philosophe » de sa génération faisait donner en vrac Nietzsche, Gurdjieff, saint Jean de la Croix et cent autres pour théoriser la figure du « rebelle » existentialiste. Le livre eut une grande publicité et acheva de transformer le mouvement des « jeunes gens en colère » en un phénomène qui fit partout la une des journaux.

Room at the Top (Les Chemins de la haute ville) de John Braine (1922-1986) parut l'année suivante (1957). Ce roman exprime peut-être mieux que tout autre le malaise social qui est au fond de la « colère ». Joe Lampton, son héros, est une sorte de Julien Sorel du Yorkshire (le roman se passe à Bradford). D'origine ouvrière, il n'a que mépris pour la bourgeoisie de la « haute ville », mais en même temps il est décidé à s'y frayer, cyniquement, sans scrupules, un chemin. Ce chemin passe par les femmes. Il en trahit une pour une autre qui lui offre les clefs de la haute ville, mais c'est au prix de l'étouffement de ce qu'il lui restait de cœur. En 1959, Jack Clayton fit de ce livre un film mémorable pour lequel Simone Signoret obtint un oscar. La même année, Tony Richardson porta à l'écran Look back in Anger. Ce fut un des effets, et non le moindre, de la secousse donnée par les « jeunes gens en colère » : elle favorisa l'apparition d'un climat dans lequel une « nouvelle vague » du cinéma apparut, amenant dans son sillage de nouveaux acteurs, tandis que le théâtre, avec les premières pièces de Harold Pinter (1957), d'Arnold Wesker (La Cuisine, 1959) et de Shelagh Delaney (Un goût de miel, 1958), connaissait un immense regain.

Swinging London, un modèle de M. Quant - crédits : Reg Lancaster/ Express/ Hulton Archive/ Getty Images

Swinging London, un modèle de M. Quant

Si ambiguë que soit l'attitude de Jimmy Porter, de Jim Dixon, de Charles Lumley et de Joe Lampton, à l'égard et de l'establishment et de leur classe d'origine, leur cheminement forçait néanmoins le roman anglais à sortir des cercles où il s'était souvent cantonné : Mayfair ou Bloomsbury, Eton College, Oxford et Cambridge, à explorer à nouveau des territoires laissés en friches, à reprendre pied, comme au temps de la grande tradition du xixe siècle (George Eliot, Charles Dickens) dans la province anglaise, à parler avec des accents qui n'avaient pas souvent[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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Média

Swinging London, un modèle de M. Quant - crédits : Reg Lancaster/ Express/ Hulton Archive/ Getty Images

Swinging London, un modèle de M. Quant

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