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DONLEAVY JAMES PATRICK (1926-2017)

Son premier essai fut son coup de maître : c'est le personnage original de Sébastien Dangerfield qui, dès son premier roman, L'Homme de gingembre (The Ginger Man, 1955), dont le succès fut énorme, a fait connaître J. P. Donleavy. Dans une saga picaresque, bouffonne et désespérée, un « rigaudon de canaillerie gaillarde » déambule cette « espèce », ce vagabond sans scrupules, digne héritier du xviiie siècle de Smolett, Fielding ou Diderot. On est à Dublin, dans les années 1940-1950. Américain expatrié, Sébastien Dangerfield, qui est censé faire des études de droit à Trinity College, vit, accablé de dettes et de soucis domestiques, avec femme et enfant dans des meublés de bohème qu'il a l'art de transformer en porcheries. Clodo, pique-assiette, arnaqueur, force de la nature, Sébastien va d'aventures en mésaventures, filoutant les épiciers, esquivant les créanciers, copulant à tout-va jusques et y compris sur le tas de charbon, cassant les meubles à coups de hache, battant sa femme, une Anglaise trop bien élevée pour lui (précisément ce qui en elle le fascine), écrivant lettre sur lettre pour narrer ses misères et quémander sans vergogne, insultant et vilipendant tout ce qui a le malheur de se trouver sur le chemin en zigzag qui le mène d'un pub à l'autre, forban iconoclaste et mal léché que tarabuste secrètement, pourtant, comme une nostalgie de la respectabilité.

Le roman s'inscrit, à certains égards, dans la rébellion de cette génération qu'on a appelée les « jeunes gens en colère », mais il en représente la frange hirsute et quasi nihiliste ; il apparaît comme une sorte de farce néo-surréaliste où l'invention comique, l'exubérance d'une verve flamboyante masquent à peine un sens kafkaïen de la solitude traquée, tandis que, sous l'observation de mœurs qui fait la force du roman anglais, perce l'humour anarchiste d'un gosse de Brooklyn qui se souvient de sa vieille passion pour les Katzenjammer Kids et leurs quatre cents coups.

J. P. Donleavy est en effet né le 23 avril 1926 à Brooklyn, New York City, où son père, ancien séminariste, avait immigré d'Irlande et épousé une autre immigrée irlandaise. Donleavy a grandi dans un autre quartier dur de New York, le Bronx, où il s'illustra plus dans les bagarres de terrain vague que sur les bancs des diverses écoles auxquelles il joua le mauvais tour de les fréquenter. Appelé, vers la fin de la guerre, dans la marine, il découvre la littérature, en particulier Thomas Wolfe, puis, en 1946, profitant du G. I. Bill, il part pour trois ans à Trinity College à Dublin, afin d'y faire des études de bactériologie. Il lit alors Joyce, Kafka et surtout un autre écrivain originaire de Brooklyn, Henry Miller, dont l'influence sur lui est manifeste. Ayant quitté Trinity sans diplôme, il s'installe avec sa femme dans une ferme irlandaise, puis, d'un séjour en Amérique, revient avec sous le bras le manuscrit de L'Homme de gingembre. Refusé partout pour obscénité, le livre fut publié à Paris en 1955 par l'Olympia Press de Maurice Girodias. Il fallut attendre dix ans pour que la version complète et inexpurgée paraisse en Angleterre et en Amérique ; entre-temps, il avait connu, sous le manteau, une vogue immense, dans les milieux étudiants en particulier.

Depuis, Donleavy a publié plusieurs livres, tous chapitres d'une sorte de vaste autobiographie de l'âme, où l'on retrouve et la fantasque goualante irlandaise et la verdeur sauvage de Brooklyn, mais aussi un travail attentif pour approcher l'écriture au plus près de la voix et de son subtil tempo : Un homme singulier (A Singular Man, 1963), histoire d'un Dangerfield devenu, avec la richesse, plus désespéré encore ; La Sale Saison de Samuel S. (The SaddestSummer of Samuel S., 1966), où un écrivain[...]

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Écrit par

  • : professeur de littérature américaine à l'université de Paris IV-Sorbonne et à l'École normale supérieure

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