- 1. La zone soviétique (mai 1945-oct. 1949)
- 2. La création des bases du socialisme (1950-1955)
- 3. L'ère Khrouchtchev : déstalinisation et défi à l'Occident (1956-1961)
- 4. Crise et stabilisation (août 1961-avr. 1968)
- 5. L'affirmation sur la scène internationale (1968-1973)
- 6. L'édification de la « société socialiste développée » (1974-1980)
- 7. La perspective de l'« État socialiste du peuple » (1981-1989)
- 8. Bibliographie
ALLEMAGNE (Politique et économie depuis 1949) République démocratique allemande
L'affirmation sur la scène internationale (1968-1973)
Une action diplomatique patiente
Cette « reconnaissance » restait bloquée par la démocratie chrétienne dominante à Bonn. Se fondant sur les protocoles de Paris du 20 octobre 1954 selon lesquels « jusqu'à la conclusion d'un traité de paix, les États signataires (États-Unis, Grande-Bretagne, France) uniront leurs efforts en vue d'atteindre leur objectif commun – une Allemagne réunifiée, dotée d'une Constitution libérale et démocratisée, semblable à celle de la République fédérale, et intégrée à la Communauté européenne (art. 2 et 7) » –, la R.F.A. se considérait, en attendant, comme la seule représentante légitime du peuple allemand. En vertu de la théorie de la représentation exclusive (Alleinvertretung), la R.D.A. n'existait pas en tant qu'État et n'était que « la zone d'occupation soviétique », dont les dirigeants tenaient leur pouvoir de l'occupant et non d'élections exprimant la volonté populaire. De ce fait, toute reconnaissance sur le territoire allemand d'une autorité gouvernementale autre que celle de Bonn était considérée par celle-ci comme un acte d'hostilité grave, entraînant ipso facto la rupture des relations diplomatiques. À cette doctrine Hallstein, qui condamnait la R.F.A. d'Adenauer, puis du chancelier Erhard, à l'immobilisme politique sur le plan international s'opposait le Document national de la R.D.A., élaboré en 1962, qui préconisait la confédération de deux États allemands, tout en proclamant que l'avenir de l'Allemagne était au socialisme et que la R.D.A. « comme État allemand socialiste incarnait l'avenir de la nation tout entière ».
En attendant une évolution des rapports avec « l'autre Allemagne », Walter Ulbricht avait obtenu la présence de la R.D.A. parmi les signataires du traité antiatomique de Moscou du 8 août 1963 et la signature, le 12 juin 1964, d'un nouvel accord d'amitié et de coopération avec l'U.R.S.S. garantissant ses frontières. Mais cette dernière devait essuyer un échec lorsqu'elle présenta, en janvier 1965, la candidature de la R.D.A. à l'O.N.U. La percée en direction du Tiers Monde, tentée au cours de cette même année par Walter Ulbricht lors d'une visite au Caire, s'avéra également décevante. Craignant les effets de la doctrine Hallstein, la plupart des pays en voie de développement limitèrent leurs relations à l'ouverture de représentations commerciales et de consulats. À la lumière de ces échecs, la R.D.A. se résolut à engager le dialogue avec Bonn : après les projets de rencontre S.E.D.-S.P.D. de 1964-1965, l'arrivée au pouvoir, en décembre 1966, du gouvernement de « grande coalition » du chancelier Georg Kiesinger – avec pour vice-chancelier et ministre des Affaires étrangères le social-démocrate Willy Brandt – modifiait, il est vrai, sensiblement la situation. La « nouvelle politique à l'Est » ( Ostpolitik) de la R.F.A. visait à établir des rapports diplomatiques normaux vis-à-vis de l'U.R.S.S. et des pays socialistes, avec tous les avantages économiques et politiques qui pourraient en découler. L'obtention de ces avantages impliquait la reconnaissance des « conséquences de la guerre » en Europe centrale, notamment celle des frontières de la ligne Oder-Neisse, la renonciation au pays des Sudètes, la reconnaissance d'un second État allemand – la R.D.A. – sur le sol allemand.
En avril 1967, Willy Brandt s'adressait, en tant que président du S.P.D., au VIIe congrès du S.E.D. pour lui proposer des mesures tendant à améliorer les relations humaines et économiques entre les deux Allemagnes. Conforté par l'appui que venait de lui réitérer la Conférence des partis communistes de Karlovy Vary (26 avril 1967), Willy Stoph éleva le niveau du dialogue en répondant, le 10 mai, au nom de son gouvernement par des propositions de « normalisation » entre les deux États, à commencer par leur reconnaissance mutuelle. Si ces propositions restèrent sans réponse, la volonté de sortir le « problème allemand » de l'impasse gagna néanmoins du terrain en Allemagne fédérale. Dans son rapport Sur l'état de la nation dans l'Allemagne divisée (11 mars 1968), le chancelier Kiesinger envisagea l'établissement d'un bureau d'échanges économiques à Berlin-Est et se déclara prêt à rencontrer Willy Stoph. Lors de sa réélection à la présidence du S.P.D., son ministre Willy Brandt se prononça pour le respect de la ligne Oder-Neisse, mais refusa de reconnaître la R.D.A. en droit international. Le printemps de Prague et la politique d'ouverture de l'équipe Dubček ranimèrent la méfiance des dirigeants de Berlin-Est. Après l'établissement par Bonn de relations normales avec la Roumanie et la Yougoslavie sans reconnaissance préalable de la R.D.A., Walter Ulbricht soupçonna en effet l'Allemagne fédérale de tenter une révision des résultats de la Seconde Guerre mondiale en détachant la Tchécoslovaquie de ses alliés de l'Est. Le voyage, en juin-juillet 1968, du président de la Bundesbank, du Dr Scheel (président du parti libéral et futur ministre des Affaires étrangères de la R.F.A.), ainsi que du Dr Hermann Müller (vice-président du groupe parlementaire C.D.U.) à Prague ne fit qu'étayer ces soupçons. D'où la réunion des 14 et 15 juillet, à l'initiative de la R.D.A., du groupe des cinq (U.R.S.S., R.D.A., Pologne, Hongrie, Bulgarie) qui envoyèrent aux Tchèques un véritable ultimatum, rejeté par ces derniers. Une nouvelle réunion, le 3 août à Bratislava, somma Dubček de lutter contre les « forces antisocialistes ». Le 21, l'Armée rouge et des contingents de ses quatre alliés entrèrent en Bohême, tandis que les autorités de la R.D.A. expliquaient à leurs concitoyens médusés qu'elles contribuaient « à la protection du développement du socialisme en Tchécoslovaquie ». Ces événements et la tension qui en résulta semblèrent ramener le « problème allemand » à l'époque de la guerre froide. La proposition du 8 août 1968 d'un plan de sécurité en Europe, énoncée par Walter Ulbricht devant la Chambre du peuple, resta sans écho en Occident, tandis que la R.D.A. perçut comme une provocation le voyage du président Nixon à Berlin-Ouest (févr. 1969) et l'élection du nouveau président de la R.F.A., Gustav Heinemann, le 5 mars, dans l'ex-capitale du Reich.
En dépit de ce climat défavorable, la R.D.A. parvint à effectuer une percée spectaculaire sur la scène internationale. Encouragés par les entorses à la doctrine Hallstein que le gouvernement de Bonn avait dû faire pour traiter avec la Roumanie et la Yougoslavie, six pays non engagés (Irak, Cambodge, Soudan, Yémen du Sud, République arabe unie) rejoignirent les treize pays socialistes qui étaient jusqu'alors les seuls à entretenir des relations diplomatiques avec Berlin-Est.
La R.D.A. et l'Ostpolitik du chancelier Brandt
À Bonn, la victoire du S.P.D. aux élections législatives et l'arrivée de Willy Brandt, le 28 octobre 1969, à la chancellerie relancèrent la possibilité de négociations bilatérales au niveau des gouvernements des deux Allemagnes, qui devaient aboutir à une coopération contractuelle. Dans sa déclaration d'investiture, le chancelier pressenti précisa devant le Bundestag que son gouvernement n'entendait pas reconnaître la R.D.A. en droit international mais que les liens entre les deux États existant en Allemagne étaient d'une nature particulière. D'où ses quatre propositions :
1. Aboutir aussi avec la R.D.A. à un accord de renonciation mutuelle au recours à la force.
2. Respecter le statut spécial de Berlin placé sous la responsabilité des quatre alliés, tout en donnant à Berlin-Ouest « la possibilité de contribuer à l'amélioration des relations politiques, économiques, culturelles entre les deux parties de l'Allemagne ».
3. Intensifier les échanges commerciaux interallemands, le ministère des Affaires panallemandes devenant celui des Relations interallemandes.
4. Ouvrir des discussions avec la Pologne sur la base « du respect et, le cas échéant, de la reconnaissance des frontières ».
Même si le nouveau chancelier maintenait le refus de reconnaître l'autre État sur le plan international, sa déclaration impliquait une reconnaissance de facto, c'est-à-dire l'abandon de la doctrine Hallstein, le traitement de la R.D.A. comme partenaire sur un pied d'égalité. Par ailleurs, la reconnaissance de Berlin-Ouest comme entité différente des deux États mit fin à la fiction du « douzième Land » de la R.F.A., inscrite dans la Constitution de 1949 mais suspendue par les Occidentaux. De même, l'éventualité d'une reconnaissance des frontières de l'Oder et de la Neisse mit fin au mythe adenauérien d'une récupération possible des anciens territoires de l'Est « provisoirement sous administration polonaise ». Cette mutation fondamentale de la politique ouest-allemande suscita plus d'enthousiasme à Moscou qu'à Berlin-Est, où le comité central du S.E.D. des 13 et 14 décembre 1969 récusa le « caractère spécial » des relations interallemandes, et suggéra l'élargissement des discussions techniques antérieures ainsi que la signature d'un traité fondé sur la reconnaissance en droit international. Le 17 décembre, Walter Ulbricht proposa au président de la R.F.A. l'ouverture de négociations, en janvier 1970, sur cette base. Même s'il fut entrecoupé de polémiques et de retours en arrière, le processus engagé aboutit aux rencontres historiques entre Willy Stoph et Willy Brandt, le 19 mars 1970 à Erfurt (Thuringe, R.D.A.) et le 21 mai à Kassel (R.F.A.). Malgré cette reconnaissance de facto, les thèses en présence restaient inconciliables. Aussi les deux chefs de gouvernement décidèrent-ils de s'accorder un temps de réflexion, d'autant plus que la nouvelle Ostpolitik se heurtait aux réserves de l'U.R.S.S. qui entendait en être la première bénéficiaire. L'accord signé le 12 août 1970 à Moscou par le chancelier Brandt, comportant l'engagement de respecter « sans restriction l'intégrité de tous les États en Europe dans leurs frontières actuelles » et à les considérer comme inviolables « y compris la ligne Oder-Neisse qui forme la frontière occidentale entre la république populaire de Pologne et la R.D.A. », ouvrit la voie aux alliés polonais et est-allemands pour régler leurs rapports avec la R.F.A. – la Tchécoslovaquie étant provisoirement « empêchée par sa normalisation intérieure ». Avec la Pologne, la situation fut apurée par la signature d'un traité, le 18 novembre 1970, consacrant la reconnaissance de la ligne Oder-Neisse. Les négociations devaient s'avérer plus complexes avec la R.D.A.
Fin de l'ère Ulbricht et début de l'ère Honecker
Au début de novembre 1970, Walter Ulbricht récusait publiquement « les fonctions prétendument panallemandes » des quatre puissances occupantes et proposait à Bonn des négociations directes sur l'ex-capitale du Reich ; geste qui devait provoquer l'irritation de Moscou comme de Washington et conduisit sans doute à la « retraite » du premier secrétaire du S.E.D. Par un bref communiqué du 3 mai 1971, le plénum du comité central annonça que l'intéressé était libéré de sa charge à sa demande, et qu' Erich Honecker était désigné à l'unanimité pour lui succéder au secrétariat du Parti. En remerciement des services rendus, Walter Ulbricht demeurait président du Conseil d'État et se voyait nommé président du S.E.D., poste créé à son intention. Les griefs formulés a posteriori contre le vieux leader – autoritarisme, goût pour les réalisations de prestige trop coûteuses, penchant pour les anticipations idéologiquement infondées, arrogance allant jusqu'à exalter la supériorité du niveau de vie de son pays par rapport à celui de l'U.R.S.S. – ne pouvaient masquer le fait que cet homme de soixante-dix-huit ans, installé comme les prédécesseurs de Willy Brandt dans le contexte de la guerre froide, constituait désormais un obstacle à la mise en œuvre de la nouvelle politique de détente.
Le VIIIe congrès du S.E.D., convoqué à Berlin du 15 au 19 juin 1971, se déroula en l'absence de l'homme qui avait été l'objet d'un véritable culte de la personnalité. L'allocution qu'il avait rédigée fut lue par Hermann Axen, membre du Bureau politique. Elle ne contenait qu'une phrase sur son départ et une simple annonce, sans le moindre éloge, de la nomination de son successeur. Le rapport d'activité du nouveau secrétaire, Erich Honecker, permit à celui-ci de dresser le bilan de la fin de l'ère Ulbricht tout en développant, avec une concision et une sobriété qui détonnaient par rapport au style antérieur, les objectifs qualitatifs de la R.D.A. à la veille des grands accords internationaux conduisant à sa reconnaissance et à son entrée à l'O.N.U.
Avec 1 909 859 membres (dont 64 579 candidats), soit un adhérent sur six citoyens de plus de dix-huit ans, le S.E.D. de 1971 enregistrait une augmentation de 16,7 p. 100 de ses effectifs par rapport au précédent congrès d'avril 1967. S'il convient de nuancer l'affirmation suivant laquelle 76,8 p. 100 de ces adhérents appartenaient à la « classe ouvrière » dans la mesure où une proportion non négligeable assumait des fonctions de direction au sein du Parti, de l'État et d'autres institutions représentatives, le rajeunissement – 45 p. 100 des adhérents ont moins de quarante-cinq ans – est néanmoins sensible et la proportion de femmes (28,7 p. 100), dont certaines occupent des postes importants, relativement élevée. Dix-huit d'entre elles siègent au comité central, mais une seule, l'agronome Margaret Müller, figure parmi les candidats puis suppléants au Politbüro, dont les seize membres sont masculins (elle sera rejointe en 1976 par la candidate Inge Lange). Sur les quarante-deux ministres du gouvernement, on ne trouve qu'une seule femme, Margot Honecker, à la tête de l'Éducation nationale. Pour indéniable qu'elle fût, l'émancipation des femmes s'inscrivait dans les impératifs de l'État socialiste, déterminés, comme toutes les questions importantes, par la direction du S.E.D. Ainsi, au Conseil d'État, présidé jusqu'à sa mort, le 1er août 1973, par Walter Ulbricht, treize des vingt-quatre membres étaient des dirigeants du Parti socialiste unifié. La proportion était encore plus significative au Conseil des ministres, avec trente-trois membres du S.E.D. sur trente-neuf ministres. La commission de planification était dirigée par un membre du comité central, tout comme l'Inspection ouvrière et paysanne, la police populaire et l'armée.
Sur le plan économique, les cinq dernières années de l'ère Ulbricht se caractérisaient, selon les indications de Willy Stoph au VIIIe congrès, par un accroissement du revenu national de 5,2 p. 100 par an alors que, pendant la même période, la croissance était de 4,5 p. 100 en R.F.A. et de 5,7 p. 100 en France. Cet essor était dû essentiellement à la production industrielle, en augmentation de 37 points, notamment grâce aux résultats spectaculaires obtenus dans l'électronique, la pétrochimie, la construction mécanique et les produits de transformation de la métallurgie. La progression de l'industrie énergétique (indice 118), des industries textiles et alimentaires (indice 124) restait par contre en dessous des objectifs fixés. Constat identique pour l'agriculture (indice 108 ; 1965 = indice 100). En ce domaine, Erich Honecker incrimina une série d'années climatiquement désastreuses en soulignant que la socialisation, loin de freiner la production agricole, avait au contraire permis sa modernisation et amélioré sensiblement l'approvisionnement des grandes villes. Si les prévisions du Plan n'avaient été réalisées qu'à 92 p. 100 pour le logement (365 000 logements construits au lieu de 400 000), on enregistrait néanmoins une augmentation de 22 p. 100 du revenu réel par habitant entre 1965 et 1970, et un développement de la consommation légèrement supérieur (+ 25 p. 100). Ce développement, ajouté à celui du commerce extérieur (+ 60 p. 100), dont 40 p. 100 s'effectuaient avec l'U.R.S.S., explique certains déséquilibres entre l'offre et la demande auxquels les autorités avaient dû réagir par des économies d'électricité et le freinage de la consommation intérieure.
C'est sans doute pour mieux maîtriser la production que le gouvernement de la R.D.A. étatise, durant le premier semestre de 1972, les entreprises industrielles restées au secteur privé ou mixte (halbstaatlich). Les résidus du capitalisme ne subsistaient désormais que dans l'artisanat, le commerce de détail, les professions libérales. Les personnes travaillant dans ce dernier secteur ne représentaient plus que 3 p. 100, les coopérateurs paysans et artisans 12 p. 100, les salariés des « entreprises du peuple » (V.E.B.) et du secteur public formant les autres 85 p. 100.
La séparation totale des deux États allemands (Abgrenzung) et la signature du Traité fondamental avec la R.F.A.
Si l'arrivée au pouvoir d'un nouveau premier secrétaire du S.E.D. permettait d'aplanir les divergences avec l'U.R.S.S., l'orientation de celui-ci semblait plutôt marquer un durcissement par rapport à l'Ostpolitik du chancelier Brandt. Affirmant que le processus de différenciation entre la R.D.A., « État socialiste », et la R.F.A., « État impérialiste », ne pouvait que s'accentuer, le comité central du S.E.D. rejetait l'idée d'une « unité de la nation allemande » et le « caractère particulier des relations » entre les deux États. À partir de cette analyse et « pour sauvegarder la paix », Erich Honecker proposa la convocation d'une conférence sur la sécurité européenne – proposition déjà faite sans succès par Walter Ulbricht –, l'adhésion de la R.D.A. à l'O.N.U. et à ses organismes spécialisés, l'établissement avec la R.F.A. de « relations normales gouvernées par le droit international » ainsi que la normalisation des relations avec Berlin-Ouest, à condition que le Sénat de la ville reconnaisse son caractère d'entité politique, dotée d'un statut particulier, indépendante de la R.F.A.
En Occident, Erich Honecker apparut comme le théoricien de l'Abgrenzung, c'est-à-dire d'une séparation totale des deux Allemagnes, cependant que Brejnev manifestait son optimisme quant à une possibilité d'entente sur le statut de Berlin. Après des discussions durant tout l'été de 1971, un accord en ce sens était effectivement signé le 3 septembre entre les quatre puissances occupantes. Tout en reconnaissant l'existence de « liens » entre les secteurs occidentaux de l'ex-capitale, ce document établissait l'existence de l'entité particulière de Berlin-Ouest, distincte de la R.F.A. Sur la base de cet accord-cadre, Egon Bahr, secrétaire d'État à la chancellerie fédérale, et Michael Kohl, secrétaire d'État à la présidence du Conseil de la R.D.A., reprirent et élargirent les conversations techniques de novembre 1970 pour aboutir, le 11 décembre 1971, à la signature de deux accords. L'un, « sur les facilités et améliorations du trafic des voyageurs et visiteurs, et les problèmes d'enclaves par échange de territoire » entre la R.D.A. et Berlin-Ouest. L'autre, « sur la circulation des personnes et des marchandises civiles entre la R.F.A. et la R.D.A. ». Du point de vue de cette dernière, les deux textes complétaient le traité de Moscou du 13 août 1970, Bonn reconnaissant ainsi la souveraineté territoriale de la R.D.A., y compris sur l'ancien secteur oriental de Berlin-Ouest.
Les deux États ne contestant désormais plus ni leur existence ni leurs frontières réciproques, il restait à régler leurs relations futures. Ce fut l'objet du Traité fondamental, paraphé à Bonn le 9 novembre 1972 et signé à Berlin le 21 décembre 1972, au terme d'une année de négociations difficiles.
En dix courts articles, ce traité prévoyait :
– Le développement de « relations normales de bon voisinage sur la base de l'égalité des droits ».
– L'inviolabilité des frontières communes et le respect de l'intégrité territoriale.
– La renonciation réciproque à représenter l'autre État sur le plan international.
– L'échange de représentations permanentes.
« Ce traité, déclara le secrétaire d'État Kohl, s'intègre dans l'ensemble formé par les traités entre l'U.R.S.S., la Pologne et la R.F.A., qui marquèrent le début d'une nouvelle étape dans la coexistence pacifique des peuples et des États sur notre continent. » Ce qui n'empêcha pas Erich Honecker de préciser les limites de l'accord en réaffirmant, dans une interview du 22 novembre au New York Times, les principes de la souveraineté de la R.D.A. selon la théorie de l'Abgrenzung.
La course à la reconnaissance de la R.D.A.
Quelles qu'en fussent les limites, ce traité ouvrait à la R.D.A. l'accès à la scène internationale. Le jour même de l'interview d'Erich Honecker, la Conférence générale de l'O.N.U. décidait à l'unanimité l'admission de l'État est-allemand à l'U.N.E.S.C.O., le secrétaire général de l'O.N.U. se déclarant prêt à lui accorder immédiatement un siège d'observateur en attendant un vote de l'Assemblée générale. Ces nouvelles provoquèrent une véritable course à la reconnaissance. En dépit d'une résolution de l'O.T.A.N. demandant à ses membres de coordonner leur démarche et de ne pas reconnaître « formellement » le deuxième État allemand, la Belgique devança tous ses alliés en acceptant l'ouverture d'une ambassade à Bruxelles, le 27 décembre 1972. À la même date, la France et l'Angleterre ouvrirent des pourparlers qui aboutirent, le 9 février 1973, à l'établissement de relations diplomatiques. Dans l'intervalle, quinze autres États, dont cinq appartenant à l'O.T.A.N. (Pays-Bas, Luxembourg, Islande, Danemark, Italie), l'Espagne franquiste, la Suisse et six pays du Tiers Monde les avaient précédées. Le 18 septembre 1973, l'Assemblée générale des Nations unies admettait par acclamation les deux États allemands contre la seule voix d'Israël, opposé à une reconnaissance de la R.D.A. qui refusait de payer des réparations pour les crimes du IIIe Reich. Reconnue par quatre-vingt-quinze pays sur cent trente-cinq existant alors dans le monde, la R.D.A. avait gagné la bataille de sa légitimation.
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Écrit par
- Georges CASTELLAN : professeur à l'Institut national des langues et civilisations orientales
- Rita THALMANN : professeur d'université, docteur d'État, directrice de l'Institut d'études germaniques, université François-Rabelais, Tours
Classification
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Autres références
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ALLEMAGNE - Les institutions
- Écrit par Stéphane SCHOTT
- 4 250 mots
Les institutions de la république fédérale d’Allemagne sont définies par la Loi fondamentale (L.F.), ou Grundgesetz, du 23 mai 1949. Pensé à l’origine comme une Constitution provisoire pour l’Allemagne de l’Ouest, le Grundgesetz s’applique à toute l’Allemagne depuis le 3 octobre 1990....
Voir aussi
- PARTIS COMMUNISTES
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- SINO-SOVIÉTIQUES HISTOIRE DES RELATIONS
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