AFRIQUE NOIRE (Arts)Histoire et traditions
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Statues et culte des ancêtres
Le bassin de l'Ogooué est une région de forêt humide qui ne fut jamais très peuplée : une quarantaine d'ethnies en occupent les vallées et les rares zones de savanes. Deux ensembles de peuples sont démographiquement plus importants, les Fang (ou Pahouins) au nord et les Ambama au sud-est, correspondant à deux régions de forte production artistique, notamment de figures de reliquaires liées au culte des ancêtres.
Entre l'au-delà et les vivants
La religion fondamentale des peuples de l'Afrique équatoriale atlantique est le culte familial rendu aux ancêtres du lignage. Dans ces sociétés dont le fonctionnement repose quasi exclusivement sur la parenté et les relations de proximité, le culte des ancêtres avait, jusqu'au début du xxe siècle, une grande importance pour assurer la cohésion sociale. Les individus se situent tous par rapport aux défunts du lignage et du clan de référence. D'ailleurs, c'est cette position généalogique qui règle dans la vie courante comme dans les grandes occasions la plupart des comportements sociaux et interpersonnels quotidiens. Ce culte se caractérisait par le prélèvement et la conservation des reliques des morts importants de la famille (chefs du clan ou du lignage, personnalités influentes, guérisseurs réputés, femmes particulièrement fécondes...). Largement répandu du sud du Cameroun au Congo jusque dans les années 1920 et 1930, le culte des ancêtres et sa statuaire rituelle ont été systématiquement combattus par les missions chrétiennes mais aussi par l'administration coloniale : ces rites liés à la mort étaient considérés comme contraires aux mœurs pouvant être admises dans une société moderne. Il subsiste pourtant aujourd'hui dans l'inconscient collectif et les mentalités individuelles, mais aussi sous des formes rituelles plus ou moins clandestines, telles que les pratiques syncrétiques du bouiti, par exemple, où voisinent le culte des ancêtres et une longue initiation.
L'art gabonais est un art religieux, fortement enraciné dans les structures sociales de chaque communauté. Le masque, ou la statue, n'est pas par lui-même un objet sacré : c'est le réceptacle ou le support d'une force spirituelle que le groupe souhaite utiliser. L'image de bois est un symbole et un message dont les formes caractéristiques sont autant d'éléments d'un code que les initiés comprennent parfaitement. Cette sculpture, d'inspiration et d'utilisation intimistes, répond d'abord à un besoin cultuel, celui du lignage ou du village, cadre étroit dans lequel l'homme est contraint de vivre, en raison des difficultés de circulation en forêt. À travers des croyances et des rites, l'art est ici l'un des moyens de la maîtrise du cosmos par l'homme. Les objets sculptés constituent un médium entre l'au-delà et les vivants. Chaque couleur possède une signification symbolique : chez les Tsogho, par exemple, au Gabon du Centre, le rouge évoque le sang, la vie et la femme ; le blanc : le sperme, l'homme et la mort ; le noir : les maléfices et la sorcellerie.
Les reliquaires fang
C'est le chef de famille, chez les Fang, qui était l'officiant de droit du culte ancestral, le byéri, les autres hommes du lignage n'étant que de simples initiés. Les crânes, entiers ou en fragments, étaient soigneusement nettoyés, séchés puis parfois décorés – incrustations de laiton ou peinture blanche ou rouge – et mis dans un coffre cylindrique en écorce cousue ; le reliquaire était surmonté soit d'une statuette en bois, soit d'une tête seule juchée sur un long cou. Ces sculptures, les unes particulièrement réussies d'un point de vue artistique, mais quantité d'autres beaucoup plus frustes, étaient non pas des « idoles » mais des représentations symboliques des défunts. Habituellement chargées de préserver des regards importuns les reliques elles-mêmes, certaines statues servaient occasionnellement de marionnettes rituelles lors des cérémonies d'initiation des adolescents. L'officiant sortait alors les crânes, les présentait aux jeunes garçons à initier et les nommait tout en expliquant leurs liens généalogiques. Ensuite, derrière un castelet de fibres de raphia, les initiés brandissaient les statuet [...]
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Écrit par :
- Jean DEVISSE : professeur émérite à l'université de Paris-I
- Francis GEUS : maître de conférences à l'université de Lille-III (égyptologie), directeur de la Mission française de l'île de Saï, Soudan
- Louis PERROIS : ethnologue, directeur de recherche honoraire de l'Institut de recherche pour le développement (I.R.D., ex-O.R.S.T.O.M.)
- Jean POLET : docteur ès lettres, maître de conférences associé à l'université de Paris-I
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Pour citer l’article
Jean DEVISSE, Francis GEUS, Louis PERROIS, Jean POLET, « AFRIQUE NOIRE (Arts) - Histoire et traditions », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 04 mai 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/afrique-noire-arts-histoire-et-traditions/