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PHÈDRE, Platon Fiche de lecture

Critique de l'écriture et « enseignement oral »

Un passage fameux du Phèdre, rapportant le mythe de l'invention de l'écriture par le dieu égyptien Theuth, insiste sur la menace que représente l'écrit pour la pratique philosophique : « Car, à mon avis, ce qu'il y a de terrible, Phèdre, c'est la ressemblance qu'entretient l'écriture avec la peinture. De fait, les êtres qu'engendre la peinture se tiennent debout comme s'ils étaient vivants ; mais qu'on les interroge, ils restent figés dans une pose solennelle et gardent le silence. Et il en va de même pour les discours [logographies]. On pourrait croire qu'ils parlent pour exprimer quelque réflexion ; mais, si on les interroge, parce qu'on souhaite comprendre ce qu'ils disent, c'est une seule chose qu'ils se contentent de signifier, toujours la même. Autre chose : quand, une fois pour toutes, il a été écrit, chaque discours va rouler de droite et de gauche et passe indifféremment auprès de ceux qui s'y connaissent, comme auprès de ceux dont ce n'est point l'affaire ; de plus, il ne sait pas quels sont ceux à qui il doit ou non s'adresser. Que par ailleurs s'élèvent à son sujet des voix discordantes et qu'il soit injustement injurié, il a toujours besoin du secours de son père ; car il n'est capable ni de se défendre ni de se tirer d'affaire tout seul » (275d-e). Celui qui possède la science du juste, du beau et du bien, « il n'ira donc pas sérieusement „écrire sur l'eau“ ces choses-là [...] pour faire naître des discours incapables de se tirer d'affaire par la parole, incapables en outre d'enseigner comme il faut la vérité » (276c).

L'opposition entre l'oral et l'écrit, développée dans l'importante « digression philosophique » de la Lettre VII (dont l'attribution à Platon demeure discutée), les témoignages antiques – à commencer par celui d'Aristote – sur un enseignement platonicien non publié, ont une incidence directe sur l'interprétation du platonisme : Léon Robin (La Théorie platonicienne des idées et des nombres d'après Aristote, 1908), et plus récemment les travaux de l'école de Tübingen (H. J. Krämer, K. Gaiser) ont pris au sérieux l'hypothèse de « doctrines non écrites » (ágrapha dógmata). C'est enfin une question pour la philosophie elle-même, que ce « procès de l'écriture » depuis son origine, mis en évidence par Jacques Derrida dans La Pharmacie de Platon (1re éd. 1968).

— François TRÉMOLIÈRES

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Pour citer cet article

François TRÉMOLIÈRES. PHÈDRE, Platon - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ART (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 282 mots
    ...d’une manière toute différente. D’une part, deux millénaires avant le romantisme, il mit en évidence la dimension de l’inspiration. Ne dit-il pas dans le Phèdre que le contact des artistes avec le Beau est comme « une folie venue des dieux » ? D’autre part, en adéquation avec les théoriciens contemporains...
  • EXPÉRIENCE (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 2 783 mots
    ...pour eux-mêmes. » Alors que la sensibilité était pour Platon comme un poids qui entraînait l’âme vers le bas, ainsi que l’illustre la fable du dialoguePhèdre, qui nous présente l’âme comme un attelage tiré par deux chevaux, l’un cherchant à atteindre le Ciel des idées, l’autre faisant tout pour...
  • INSPIRATION (Grèce antique)

    • Écrit par Luc BRISSON
    • 2 321 mots
    Dans le Phèdre, Platon critique la rhétorique pratiquée à son époque. Pour garder à sa critique une dimension raisonnable, il la fait porter sur un exemple, un discours rédigé par Lysias et que Phèdre lit à Socrate au début du dialogue. Ce discours développe, comme c'était souvent le cas à...
  • FRANÇAISE LITTÉRATURE, XVIe s.

    • Écrit par Frank LESTRINGANT
    • 6 760 mots
    • 3 médias
    ...commun des mortels, dans des régions où n’accèdent pas les âmes vulgaires. Ronsard ne propose aucune hiérarchisation des quatre fureurs distinguées par Platon dans le Phèdre – fureur prophétique, fureur mystique (par exemple, celle des mystères de Dionysos), fureur poétique, fureur amoureuse –, mais...

Voir aussi