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MUSÉE

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Spolier et protéger

Ce système généreux connut cependant un développement paradoxal avec les contributions de guerre prélevées sur le patrimoine des nations vaincues, depuis la Convention jusqu'à l'Empire. Si la majorité des œuvres et documents confisqués et apportés en France fut certes restituée après le congrès de Vienne (1815), il n'en reste pas moins que cette pratique de la France révolutionnaire et napoléonienne, qui renouait avec l'antique usage du butin, entachait la vocation des musées d'un certain égoïsme national. Elle manifeste clairement la survivance dans les États modernes d'un penchant à la thésaurisation, inhérent à la collection, et mis au service, cette fois, d'une volonté de prestige éventuellement justifiée par une ambition patrimoniale, l'exhaustivité des collections.

En un sens, quoique autorisé par un firman du sultan, le transport à Londres par lord Elgin des plus beaux marbres du Parthénon, acquis par le British Museum en 1816, jalon majeur d’une longue suite de transferts de trésors archéologiques appartenant à des pays encore peu conscients de leur valeur historique et le plus souvent incapables de les sauvegarder – les deux obélisques de Louxor, dont un seul fut transporté à Paris sous Louis-Philippe, offrent un autre exemple notable de ces cadeaux souverains – relevait chez les bénéficiaires d'une conception analogue. En matière de « trophées » guerriers, les gigantesques razzias opérées par les nazis durant la Seconde Guerre mondiale, principalement dans les collections appartenant à des familles juives, et les confiscations et ventes forcées destinées à alimenter la collection du Führermuseum – le projet de « musée allemand » d’Hitler à Linz – ainsi que d’autres musées du Reich constituent un exemple extrême de cette pratique. Il en va de même de la loi russe du 5 février 1997 sur les biens culturels transférés vers l’URSS à la suite de la Seconde Guerre mondiale et se trouvant sur le territoire de la Fédération de Russie, dite loi sur les « Trophées », qui interdit la restitution de ces biens à l’Allemagne en particulier, loi à laquelle Boris Eltsine avait tenté de s’opposer avant d’être finalement contraint de la promulguer, en 1998. La polémique née en 2022 dans le contexte de la guerre russo-ukrainienne et relative à une éventuelle non-restitution par la France à la Russie – en dépit des règles d’insaisissabilité – de la collection Morozov, exposée à Paris par la fondation Louis-Vuitton, montre bien que des décennies d’accords internationaux sur le statut des biens culturels n’ont pas encore fait un sort à cette tentation.

Pourtant, la longue histoire des transferts d’œuvres d’art, qu’ils fussent diplomatiques, coloniaux ou privés, et les nombreux chantiers de fouilles ouverts un peu partout au Moyen-Orient par les Britanniques, les Français et les Allemands, dans le courant du xixe siècle, ont aussi contribué à un vaste déploiement de la conscience culturelle occidentale. Celui-ci débouchera, à l’époque contemporaine, sur l’émergence d’un sentiment de responsabilité, au sein de la collectivité internationale, envers un patrimoine dont la sauvegarde est dorénavant considérée comme une valeur universelle en même temps qu’un droit des pays d’origine. Les débats relatifs aux revendications de certains pays privés d’éléments majeurs de leur histoire, de même que la protection internationale des biens menacés par les conflits armés devraient connaître d’importants développements et impacter évidemment le monde des musées. En France, le Rapport sur la restitution du patrimoine culturel africain. Vers une nouvelle éthique relationnelle de Felwine Sarr et Bénédicte Savoy (2018) a ouvert, non sans susciter des débats, une nouvelle page de cette histoire complexe.

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Robert FOHR. MUSÉE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 22/11/2022

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Tribune des Offices, musée des Offices, Florence - crédits : Paolo Gallo/ Shutterstock

Tribune des Offices, musée des Offices, Florence

<em>Cabinet d’art et de curiosités</em>, Frans Francken II le Jeune. - crédits : Fine Art Images/ Heritage Images/ Getty Images

Cabinet d’art et de curiosités, Frans Francken II le Jeune.

Salle des Muses du musée Pio-Clementino, Vatican - crédits : Adam Eastland Art + Architecture/ Alamy/ Hemis

Salle des Muses du musée Pio-Clementino, Vatican

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