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QUINE WILLARD VAN ORMAN (1908-2000)

La relativité de l'ontologie et le critère d'engagement ontologique

L'ontologie n'a pas, aux yeux de Quine, pour finalité de distinguer des modes ou des niveaux d'être qui seraient axiologiquement indexés. Sa question propre : « Qu'est-ce qui existe ? » doit être posée dans une optique naturaliste qui s'apparente à celle de Dewey : « Avec Dewey, déclare Quine, je pense que la connaissance, l'esprit et la signification font partie du même univers, auquel ils se rapportent, et qu'on doit les étudier dans le même esprit empirique que celui qui anime les sciences de la nature. Il n'y a pas de place pour une philosophie première. » La fin de Word and Object apporte cette précision : « Ce qui différencie le souci ontologique du philosophe, c'est seulement l'envergure des catégories. Étant donné des objets physiques en général, le représentant de la science naturelle est celui qui décide au sujet des opossums et des licornes. Étant donné des classes, ou quelque autre domaine plus large d'objets dont a besoin le mathématicien, c'est au mathématicien de dire en particulier s'il y a des nombres premiers pairs ou des nombres cubiques qui sont les sommes de paires de nombres cubiques. L'examen de l'acceptation non critique de ce royaume d'objets physiques lui-même, ou de classe, etc., est dévolu à l'ontologie. » Dans un article fameux, Émile Benveniste avait affirmé que les catégories aristotéliciennes étaient moins des catégories de pensée, comme le voulait leur auteur, que des catégories de langue, celles d'une langue particulière, le grec, dont la grammaire devait en quelque sorte dominer le destin de la philosophie occidentale. Quine s'est prémuni contre un tel risque en fondant sa doctrine des catégories sur l'étude de cette langue formelle universelle qu'est la logique symbolique. Il bannit de la langue scientifique (sans en appauvrir les capacités) noms propres, démonstratifs, expressions d'attitudes propositionnelles, modalités, abstractions intentionnelles, citations, conditionnels irréels. Sont maintenues les constructions fondamentales : prédication, quantification universelle, fonctions de vérité.

Une telle langue canonique permet de répondre avec précision, comme le réclamait Alonzo Church, à la question : à quelles conditions sommes-nous engagés ontologiquement, c'est-à-dire conduits à reconnaître comme existante une entité (par exemple, une classe d'équivalence) ou à la réputer simplement fictive ? Le dictum de Quine, la formulation du critère d'engagement ontologique, s'énonce ainsi : « Des entités d'espèce donnée sont assumées par une théorie si et seulement si certaines d'entre elles doivent être comptées parmi les valeurs de la variable pour que les énoncés affirmés par la théorie soient vrais. » Nous apprenons ainsi ce qu'une théorie dit de ce qui est. Les expressions référentielles de la langue ordinaire ne nous engagent pas à reconnaître le nominatum du nom ou le descriptum de la description, comme l'a montré la célèbre théorie des descriptions de Russell. L'attitude générale de Quine est de chercher à diminuer le nombre des engagements ontologiques tout en préservant « le budget des lois scientifiques reconnues ».

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Écrit par

  • : agrégée de l'Université, docteur en philosophie, maître de conférences à l'université de Rennes

Classification

Pour citer cet article

Françoise ARMENGAUD. QUINE WILLARD VAN ORMAN (1908-2000) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • LE MOT ET LA CHOSE, Willard van Orman Quine - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Pierre COMETTI
    • 962 mots

    Le Mot et la chose n'est pas seulement le plus connu des livres que Willard van Orman Quine (1908-2000) a publiés ; il est aussi celui qui aura engagé la philosophie issue du cercle de Vienne, après son implantation aux États-Unis, dans les voies nouvelles dont la philosophie analytique...

  • EMPIRISME

    • Écrit par Edmond ORTIGUES
    • 13 324 mots
    • 1 média
    ... historique) que l'inflation de la « nécessité », le recours à des nécessités intérieures dont on attend la révélation de l'absolu comme système. Quine, dans Theories and Things (IV, p. 39), présente l'empirisme comme « une théorie de l'évidence ». L'évidence, au sens anglais, n'est pas un ...
  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La philosophie

    • Écrit par Jean-Pierre COMETTI
    • 6 292 mots
    • 1 média
    ...De plus, des rapports s'étaient déjà noués entre le cercle de Vienne et un jeune philosophe américain dont l'influence n'allait pas tarder à croître : Willard Orman Van Quine (1908-2000), qui avait rendu visite plusieurs fois à Carnap, à Vienne, avant que celui-ci n'émigrât aux États-Unis. Plusieurs figures...
  • EXPÉRIENCE

    • Écrit par Pascal ENGEL
    • 7 147 mots
    • 1 média
    ...raisonnement scientifique à une forme de raisonnement inductif (cf. Popper, in Jacob, 1980). Une autre critique du réductionnisme positiviste est venue de Quine (1960), qui soutient que la notion de signification – et par conséquent de signification empirique – est trop indéterminée pour pouvoir se prêter...
  • IDENTITÉ

    • Écrit par Annie COLLOVALD, Fernando GIL, Nicole SINDZINGRE, Pierre TAP
    • 13 231 mots
    • 1 média
    ...substituabilité – de la comparaison –, on peut mettre en avant plutôt le point de vue de l'unité des descriptions ou celui de l'unicité de la référence. Aussi, au lieu d'établir l'identité par la substituabilité, Quine préfère parler d'une substitutivité de l'identité « une fois donné...
  • Afficher les 13 références

Voir aussi