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TÉRENCE (env. 190-env. 159 av. J.-C.)

Valeurs et enseignements

Un théâtre de jeunesse

Africain d'origine, peut-être natif de Carthage, et « déraciné » dès son plus jeune âge, Térence subit l'influence d'un groupe d'hommes qui ne jurent que par les lettres helléniques. Ils goûtent à plein l'émerveillement d'être, comme dit Sainte-Beuve, « d'une même volée », et se sentent promis à une tâche commune : assimiler au mieux l'héritage des générations précédentes, mais également, et avant tout, faire triompher les idées de la nouvelle école. Ces idées, volontiers « contestataires », circulent librement à travers conversations et lectures, et comme, pour reprendre une boutade de Nietzsche, « un grand homme n'a pas seulement son esprit, mais aussi celui de ses amis », les comédies de Térence reflètent si nettement la mentalité et les tendances de son « équipe », qu'on a tendu parfois à voir en elles le produit d'une collaboration. C'est là chercher à leur auteur une vaine et fausse querelle : elles traduisent tout simplement les aspirations d'une époque et aussi d'un âge de la vie. Ce poète sortant à peine de l'adolescence, recueilli, éduqué, puis affranchi par son maître, Terentius Lucanus, et que Suétone, son biographe, dépeint comme un être fragile, « de taille moyenne, le corps frêle, le teint brun », nous fait songer au petit berbère d'André Gide. Son théâtre apparaît comme un théâtre de la jeunesse, un composé de revendications sentimentales et modérément sociales. Qui dit jeunesse, dit à la fois, admirations exclusives, parti pris dans la révolte comme dans l'obédience, irrévérence et désinvolture. Ce sont autant de traits qu'on relève chez l'auteur latin ; notamment dans ses prologues. Le prologue, simple exposition chez les Grecs – assez proche du programme d'aujourd'hui –, était déjà devenu, chez Plaute, selon l'heureuse formule de P. Fabia, « un sommaire encadré dans des actualités », susceptible d'allécher le public et de le rendre attentif au spectacle. Térence, plus « homme de lettres » que son prédécesseur, et contraint de lutter contre des adversaires qui s'en prenaient au style de sa dramaturgie, en fait une sorte de manifeste polémique présenté sur un ton fort acerbe, qui ne ressemble guère à celui des comédies. C'est pourquoi on s'est demandé quelquefois si ces préfaces devaient être portées au compte de Térence lui-même ou à celui de certains de ses « présentateurs ». Mais c'est là une querelle « à l'allemande », sur laquelle il semble difficile de se prononcer. Mieux vaut considérer sa technique qu'il a, dans le vif du théâtre, gaillardement soutenue, face à ses rivaux. De même Molière luttera contre les siens, pied à pied. Surtout, quitte à déconcerter le public de la « cavea » romaine, Térence renouvelle entièrement la psychologie des personnages obligés de la comédie prisée par la plèbe. Tel philologue parle, à ce propos, d'un « renversement de toutes les traditions ». En réalité, la volonté de faire ressortir l'humain dans les types les plus conventionnels, valut justement à Térence de se voir décerner, par Varron, la palme d'un « peseur d'âmes ». À dire vrai, pareille tentative ne va pas jusqu'à la création de « types éternels », comparables à ceux de Poquelin – ou même de Plaute. Térence ne possède pas assez de force créatrice. Il se contente, en quelque sorte, d'appliquer à la comédie l'adage socratique, en ramenant, au lieu de le dépayser, le spectateur à une plus proche connaissance de soi. Au-delà des conventions du tréteau, il propose des êtres de qualité moyenne, dans lesquels chacun peut se retrouver sans effort, et, le cas échéant, se juger à sa guise. C'est dire, du même coup, que les types du vieux répertoire ont cessé d'être de simples exemplaires sociaux (pareils à ceux de la comédie italienne, du Guignol lyonnais, ou du « théâtre de boulevard »), pour devenir des personnes.[...]

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Pour citer cet article

Barthélemy A. TALADOIRE. TÉRENCE (env. 190-env. 159 av. J.-C.) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ARIOSTE L' (1474-1533)

    • Écrit par Universalis, Paul RENUCCI
    • 6 194 mots
    ...prose en 1508, refaite en vers blancs en 1531, procède de l'Aulularia et de la Mostellaria de Plaute et, à un moindre degré, de L'Andrienne de Térence ; I Suppositi (titre à peu près intraduisible avec la somme de ses équivoques), écrits en prose en 1509, refaits en vers entre 1528 et 1531,...
  • CAECILIUS STATIUS (220 av. J.-C.?-? 166 av. J.-C.)

    • Écrit par Universalis
    • 182 mots

    Poète comique latin de la génération précédant Térence, Caecilius a peut-être passé sa jeunesse auprès d'Ennius. Il était courant à l'époque de faire composer des divertissements dramatiques par des esclaves instruits, et Caecilius était esclave, d'où son nom de Statius. D'après un passage,...

  • COMÉDIE

    • Écrit par Robert ABIRACHED
    • 5 412 mots
    • 1 média
    ...couleur ; il donne le pas au plaisir du théâtre sur les préoccupations morales et sur le souci de la dignité littéraire. Si bien que, lorsque Caecilius et Térence lui succèdent au iie siècle, ils font accomplir à la comédie latine le même chemin que naguère Ménandre avait fait suivre à la grecque : c'est...
  • LATINES (LANGUE ET LITTÉRATURE) - La littérature

    • Écrit par Pierre GRIMAL
    • 8 569 mots
    • 2 médias
    ...Philémon, Diphile... Nous avons perdu les pièces composées par Livius Andronicus, Naevius, Ennius ; mais nous possédons en revanche celles de Plaute, puis de Térence, qui s'inspirent des mêmes modèles. Ces personnages étaient créés sur le modèle du monde hellénistique (par exemple le soldat fanfaron, figure...

Voir aussi