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FRANK ROBERT (1924-2019)

L'expérience passionnelle du cinéma

La publication de The Americans est contemporaine des débuts de Robert Frank comme cinéaste, qui co-réalise Pull My Daisy en 1959 avec le peintre Alfred Leslie dans son atelier de la quatrième avenue à Manhattan. Tourné en 16 mm, sur une esquisse de scénario de Jack Kerouac, avec des chansons écrites par Neal Cassidy et David Amram, le film rassemble trois autres acteurs de la Beat Generation, Allen Ginsberg, Gregory Corso et Peter Orlovsky. Pull My Daisy remporte le premier prix au festival de San Francisco. Deux ans plus tard, un livre du même titre, illustré de 49 photogrammes, inaugure le long travail de Frank entre cinéma et image fixe. La réalisation la même année de Sin of Jesus, qu'il réalise seul, cette fois, comme les quelque 25 titres de sa filmographie, met en scène la fiction onirique d'un couple ordinaire, inspirée d'un conte d'Isaac Babel, et confirme l'influence de la Nouvelle Vague du cinéma français, bien accueillie par la jeune génération des artistes new-yorkais. OK End Here, tourné en 1963, recentre le travail de Frank sur le scénario d'une tragédie bourgeoise, servi par une syntaxe cinématographique élaborée.

Le cinéma devient alors la préoccupation majeure de Robert Frank. Cofondateur du New American Cinema Group en 1960, de la Film Maker Cooperative en 1962, il visite en photographe le festival de Venise de 1961. La réalisation de Me and My Brother (1969), long-métrage de 91 minutes interprété par Julius Orlovsky, le frère du poète et ami du cinéaste, demandera trois années de travail, consacrant la distance prise par Robert Frank avec la photographie. Le film, qui comporte quelques séquences en couleurs, développe sur le mode de la fiction une réflexion intime qu'on retrouve dans les courts-métrages Kaddish (1963-1964) et l'autobiographique Conversations in Vermont (1969), réalisé avec ses enfants Pablo et Andrea. En 1969, Robert Frank divorce d'avec Mary Lockspeiser pour vivre avec la sculptrice June Leaf, d'abord dans le quartier new-yorkais de Bowery, puis dans la campagne canadienne de Mabou, en Nouvelle-Écosse. Financé par l'American Film Institute, il réalise en 1971 About Me : A Musical, film autobiographique d'une facture difficilement accessible.

Le traitement documentaire de Robert Frank n'est pas moins déroutant. LiferaftEarth, reportage tourné en 1969 à Hayward, en Californie, sur une grève de la faim contre la malnutrition dans le monde, accumule des dialogues pris à la volée et souffre de longueurs malgré sa courtée durée de 37 minutes. Le tournage de Cocksucker Blues (1972), reportage commandité par les Rolling Stones sur une de leurs tournées de concert, suscite une controverse entre le cinéaste et le groupe de rock, qui conteste le choix des prises et finit par interdire la diffusion en public du film. Le succès du cinéma de Robert Frank reste, quoi qu'il en soit, confidentiel. Deux rétrospectives lui sont consacrées en 1978, au National Film Board du Canada, à Ottawa, au Fogg Museum de l'université d'Harvard, à Cambridge, Massachusetts. Elles seront suivies de celle du Whitney Museum à New York en 1980 et de l'hommage du festival de Rotterdam en 1981.

Cinéaste jaloux de sa liberté d'expérimenter, décidé à ne rien censurer de ses inspirations autobiographiques, comme dans LifeDances On... (1980). Robert Frank s'approprie à ce moment les facilités offertes par la vidéo. En 1985, Home Improvements rassemble des fragments nostalgiques sur l'âge, la disparition, la maladie, et une poignante apparition de son fils Pablo, déjà atteint de troubles psychiques. La commande par la chaîne allemande WDR du film vidéo Hunter (1989), portrait de l'Allemagne d'avant la réunification, marque la reconnaissance des chaînes culturelles de télévision. Robert Frank tourne l'année suivante[...]

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Pour citer cet article

Hervé LE GOFF. FRANK ROBERT (1924-2019) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Banquiers londoniens, R. Frank - crédits : Y. Bresson/ Musée d'art moderne, Saint-Etienne-Métropole

Banquiers londoniens, R. Frank

Autres références

  • ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - Les arts plastiques

    • Écrit par François BRUNET, Éric de CHASSEY, Universalis, Erik VERHAGEN
    • 13 464 mots
    • 22 médias
    Ce sont ces mêmes valeurs que l'on retrouve chez des photographes comme Helen Levitt ouRobert Frank, héritiers d'Evans et de son « style documentaire » (qui avait trouvé son aboutissement paradoxal en 1938-1942, dans une série de portraits pris à l'aveugle dans le métro), ou chez ceux qui, comme...
  • GIBSON RALPH (1939- )

    • Écrit par Hervé LE GOFF
    • 671 mots

    Photographe remarqué pour ses recherches esthétiques, voire formelles, Ralph Gibson signe une œuvre au contraire riche et diverse, construite au gré d'une carrière peu linéaire. Né à Los Angeles le 16 janvier 1939, le fils unique de Carter Gibson, réalisateur appointé à la société Warner Bros d'Hollywood,...

  • NOIR & BLANC. UNE ESTHÉTIQUE DE LA PHOTOGRAPHIE (ouvrage collectif)

    • Écrit par Armelle CANITROT
    • 1 048 mots
    • 1 média
    ...mais une traduction de leurs émotions, de leur vision subjective et poétique du monde. « Le noir et le blanc sont les couleurs de la photographie, déclareRobert Frank en 1960. Pour moi, ils symbolisent les alternatives d’espoir et de désespoir auxquelles l’humanité est à jamais soumise. »
  • PHOTOGRAPHIE (art) - Un art multiple

    • Écrit par Hervé LE GOFF, Jean-Claude LEMAGNY
    • 10 750 mots
    • 21 médias
    C'est en 1958 que paraît le livre de Robert Frank Les Américains. L'ouvrage édité d'abord en France par Robert Delpire, expose les instants absurdes d’un quotidien à la fois haché et monotone, et d'autant plus vécus qu'ils ont moins de sens. En 1956, le New Yorkde William...

Voir aussi