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RESNAIS ALAIN (1922-2014)

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Sous le signe de la musique

Suivent dix films qui ont un commun dénominateur : la musique, de la réalisation pour la télévision consacrée à Gershwin aux moments lyriques de La vie est un roman. Stephen Sondheim et Miklos Rozsa sont les musiciens de Stavisky et de Providence. « L'utilisation de la musique au cinéma est une chose qui m'intéresse depuis trente ans », déclare Resnais après L'Amour à mort. Toute la mémoire du monde était déjà un hommage à Kurt Weill, comme la composition de Hiroshima mon amour, selon Resnais, est proche du quatuor. Le cinéaste reconnaît que l'expérience de L'Amour à mort « n'arrive qu'une fois dans une vie ». Délestant l'image figurative en couleurs de tout accompagnement musical, Resnais programme dans ce film des intervalles qui sont des images non figuratives restituant la mémoire du cinéma à l'essentiel, des floculations, « l'effet de ruissellement argentin de l'écran du cinéma muet en noir et blanc » comme dit Pierre Klossowski. Ces intervalles sont réservés à la musique qui n'a donc pas un rôle d'accompagnement « sous l'action, sous les images, sous les dialogues », mais de prolongement ; elle est presque le cinquième personnage du film, à côté des quatre acteurs principaux. Pour Mélo, une solution radicale différente est adoptée puisque cette œuvre ne comporte pas d'autre musique que celle qui est jouée par les personnages. Le compositeur qui accepta de collaborer à l'expérience de L'Amour à mort, Hans Werner Henze (le musicien de Muriel), s'est trouvé d'emblée dans une situation originale. Il fut affronté à un matériau élaboré à l'extrême, à des séries, des répétitions, des renversements, des rythmes pluriels, des sonorités ; bref, à un ensemble d'éléments agencés dans l'esprit d'une composition musicale qui lui imposait des directions de travail.

Smoking / No Smoking prolonge d'une autre manière cette recherche musicale. On pourrait reprendre à propos de ce double film ce qu'écrit Roger Dragonetti du texte de Claude Simon : « Plus on y pénètre, plus se laisse percevoir ce lien que Dante appelait legamemusaico, disant à la fois le mosaïque et le musical. » (Les Notes du Général dans « Les Géorgiques »). Smoking est indissociable de No Smoking, comme la symphonie no 4 (« L'Inextinguible ») constitue avec la symphonie no 5 le diptyque fondamental de Carl Nielsen (1865-1931), musicien apprécié de Lionel Hepplewick. Entre deux couples déchirés (Toby et Celia Teasdale dans Smoking ; Miles et Rowena Coombes dans No Smoking), Lionel Hepplewick et Sylvie Bell marivaudent et expérimentent en même temps des aventures possibles avec Celia et Miles qui, eux-mêmes... Ces jeux amers et drôles de l'amour et du hasard sont observés par un chat statufié, donc impassible, dans le jardin des Teasdale (le nom du personnage de Margaret Dumont dans La Soupe aux canards), chat du Yorkshire, comme il existe, chez Lewis Carroll, un certain chat de Cheshire. Resnais reste fidèle à l'animal totem de son clan des années 1960 (Chris Marker, Agnès Varda, Armand Gatti) ; le chat est recouvert d'une mosaïque de fragments, à l'instar du dallage que Lionel compose dans le jardin des Teasdale, ou du générique de Mon Oncle d'Amérique. Mosaïque dans laquelle on peut voir, aussi bien, une métaphore du travail de montage.

Dans L'Année dernière à Marienbad, des événements étaient évoqués dans leurs diverses probabilités ; le maître mot de ce film était « aussi bien », celui du film de 1993 « ou bien », qui marque moins l'équivalence que la disjonction. On pense à Kierkegaard (le père de Sylvie n'est-il pas qualifié de « Kierkegaard local » ?), à Ou bien... Ou bien..., ou à l'histoire d'Agnès et du triton dont[...]

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Pour citer cet article

Jean-Louis LEUTRAT. RESNAIS ALAIN (1922-2014) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 18/02/2015

Média

Alain Resnais - crédits : Alessandra Benedetti/ CORBIS/ Corbis Entertainment/ Getty Images

Alain Resnais

Autres références

  • AIMER, BOIRE ET CHANTER (A. Resnais)

    • Écrit par
    • 1 174 mots

    Si, jusqu’à Mélo (1986, d’après Henry Bernstein), Alain Resnais n’avait jamais réalisé d’adaptations littéraires (d’Hiroshimamon amour à L’Amour à mort, dix longs-métrages en vingt-six ans), la seconde partie de sa filmographie (neuf longs-métrages en vingt-huit ans) ne comporte...

  • ALAIN RESNAIS, LIAISONS SECRÈTES, ACCORDS VAGABONDS (S. Liandrat-Guigues et J.-L. Leutrat)

    • Écrit par
    • 982 mots

    Parmi tous les réalisateurs français qui ont débuté dans le long-métrage à la fin des années 1950, Alain Resnais est assurément le moins prolifique : d'Hiroshima mon amour (1959) à Cœurs (2006), il n'a signé que dix-huit titres (dix-neuf si l'on compte pour deux le diptyque ...

  • HIROSHIMA MON AMOUR, film de Alain Resnais

    • Écrit par
    • 997 mots
    • 1 média

    Lorsque Alain Resnais est pressenti pour réaliser un film sur le thème de la bombe atomique d'Hiroshima et des dangers du nucléaire, il est déjà un auteur de courts-métrages jouissant d'une notoriété internationale incontestable, en particulier grâce à Nuit et Brouillard (1955)....

  • NUIT ET BROUILLARD (A. Resnais)

    • Écrit par
    • 206 mots

    Nuit et brouillard, court-métrage d'Alain Resnais, est le premier film français à aborder de front les camps d'extermination et la « solution finale » de la question « juive », mise en œuvre par le régime nazi et symbolisée par Auschwitz. Il le fait en écartant d'emblée...

  • ARDITI PIERRE (1944- )

    • Écrit par
    • 577 mots

    Né en 1944, Pierre Arditi est, à partir de la fin des années 1960, partout à la fois, au théâtre, à la télévision et au cinéma. Lui-même revendique cette boulimie et le plaisir de figurer dans quatre à cinq films par an pourvu qu'il s'y montre à chaque fois différent. Pari audacieux pour ce comédien...

  • AZÉMA SABINE (1949- )

    • Écrit par
    • 539 mots

    Née en 1949, ancienne élève d'Antoine Vitez au Conservatoire, Sabine Azéma commence sa carrière au théâtre de Boulevard. Remarquée à la Comédie des Champs-Élysées face à Louis de Funès dans La Valse des toréadors (Jean Anouilh), elle devient une actrice comique à succès à la fin des...

  • CAYROL JEAN (1911-2005)

    • Écrit par
    • 846 mots

    Écrivain français. Jean Cayrol est né à Bordeaux le 6 juin 1911. Après des études de droit et de lettres, il occupe un emploi de bibliothécaire. La poésie le requiert très tôt. Même si c'est la lecture des surréalistes qui le révèle à lui-même, il compose, à l'écart des esthétiques du temps, des poèmes...

  • CENSURE

    • Écrit par
    • 6 228 mots
    • 1 média
    ...dockers marseillais opposés au chargement de matériel militaire pour la guerre d'Indochine. En 1955 également, pour obtenir le visa de Nuit et Brouillard, Alain Resnais doit recouvrir à la gouache le képi d'un gendarme français au camp de déportation de Pithiviers. Des films provenant de pays communistes...
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