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CAYROL JEAN (1911-2005)

Écrivain français. Jean Cayrol est né à Bordeaux le 6 juin 1911. Après des études de droit et de lettres, il occupe un emploi de bibliothécaire. La poésie le requiert très tôt. Même si c'est la lecture des surréalistes qui le révèle à lui-même, il compose, à l'écart des esthétiques du temps, des poèmes qui, avec fièvre, interrogent l'unité d'un « je » lyrique écartelé entre ses possibles (Les Phénomènes célestes, 1939). Passé tôt à la Résistance dans le réseau Rémy, il est dénoncé et déporté en 1942 au camp de Mauthausen, qu'il ne quittera qu'en 1945. La souffrance extrême, la désespérance au spectacle de la cruauté des kapos et de l'affaissement moral des détenus eux-mêmes trouveront leur expression dans plusieurs œuvres de factures différentes. Ce sont au premier chef les Poèmes de la nuit et du brouillard (1946), où le dénuement tragique est subverti par une imitation de Jésus-Christ dans l'incarnation de la déréliction et de la disparition de soi. Les camps sont envisagés moins comme la réalisation de l'idéologie nazie que comme l'image fidèle de la condition humaine. La seule résurrection possible, c'est alors le regard poétique sur le monde qui se confond toujours avec la vision exaltée du Crucifié dans la profusion des images qui toutes disent la vie, dans une dénégation héroïque de la mort triomphante. De la même façon, le court essai Lazare parmi nous (1950) explore les rêves des prisonniers pour tenter la définition d'un romanesque lazaréen : partant de la confusion contemporaine des esprits dans un monde voué à l'échec, un homme sans identité se dresse, dans sa solitude définitive, pour témoigner d'une « agonie débordante ». Cayrol appelle alors de ses vœux une littérature de miséricorde où, dans la communion des saints, la terre s'accepterait telle qu'elle est, dans l'univers concentrationnaire comme dans l'univers de la Joie. Trois ans auparavant, il avait composé un roman, Je vivrai l'amour des autres (prix Renaudot 1947). Par le truchement d'un personnage romanesque, le lecteur assiste à la difficile, voire impossible, reconstruction d'une conscience en marge dans un monde habité par les objets, incapable de rejoindre autrui dans sa quête de sens.

En 1955, Jean Cayrol écrit le texte d'accompagnement (auquel Michel Bouquet prête sa voix) du film d'Alain Resnais, Nuit et brouillard. Le parti pris éthique et esthétique consiste ici à fuir la grandiloquence et le pathétique d'un reportage spectaculaire, pour mieux faire surgir la banalité de l'horreur. Tel un mutilé convalescent, le « je » doit réapprendre son identité, en faisant des ruines de la parole la condition d'un fragile ciment pour un possible futur. Les poésies et les romans des années 1950 se meuvent ainsi d'errances en silences, d'incertitudes en dépossessions. Le faux monologue des Corps étrangers (1959) réduit le personnage à sa seule voix. Le scénario de Muriel, ou le Temps d'un retour (Alain Resnais, 1963) ne dépare pas dans cet ensemble fissuré et tragiquement rapiécé sur fond de guerre d'Algérie, et pas davantage celui du Coup de grâce (Claude Durand, 1965).

Tandis qu'il entre à l'académie Goncourt en 1973, Cayrol opère dans ses œuvres une lente prise de distance à l'égard de l'obsession concentrationnaire. Il s'agit de la série des « histoires » – d’Histoire d'une prairie, 1969, jusqu'à Histoire du ciel, 1979 – marquées par un fort onirisme fantastique. C'est un présent plus immédiat qui se lit au fil des trois volumes autobiographiques de Poésie-Journal (1969, 1977, 1980). Mais, tout en réfléchissant en chroniqueur sur les événements, le poète reste attaché au sentiment d'étrangeté (À pleine voix, 1992),[...]

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Pour citer cet article

Michel P. SCHMITT. CAYROL JEAN (1911-2005) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • NUIT ET BROUILLARD (A. Resnais)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 206 mots

    Nuit et brouillard, court-métrage d'Alain Resnais, est le premier film français à aborder de front les camps d'extermination et la « solution finale » de la question « juive », mise en œuvre par le régime nazi et symbolisée par Auschwitz. Il le fait en écartant d'emblée...

  • RESNAIS ALAIN (1922-2014)

    • Écrit par Jean-Louis LEUTRAT
    • 3 810 mots
    • 1 média
    Avec Muriel, ou le Temps d'un retour, Resnais collabore de nouveau avec un romancier, Jean Cayrol, qui écrivit le texte de Nuit et Brouillard. Le titre en deux parties met d'abord en valeur un prénom féminin, celui d'un personnage hypothétique qui par son absence même constitue le centre du film ;...

Voir aussi