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AIMER, BOIRE ET CHANTER (A. Resnais)

Si, jusqu’à Mélo (1986, d’après Henry Bernstein), Alain Resnais n’avait jamais réalisé d’adaptations littéraires (d’Hiroshimamon amour à L’Amour à mort, dix longs-métrages en vingt-six ans), la seconde partie de sa filmographie (neuf longs-métrages en vingt-huit ans) ne comporte plus que deux scénarios originaux. En revanche, on y trouve l’adaptation d’un roman (Les Herbes folles, 2009, d’après L’Incident de Christian Gailly) et de six pièces de théâtre. Pourtant l’idée, trop souvent émise, que le cinéma de Resnais aurait radicalement changé de nature au mitan de sa carrière, ne saurait prévaloir. Car le réalisateur n’a jamais écrit tout seul ses scénarios originaux, dus souvent à des écrivains à forte personnalité stylistique (Marguerite Duras, Jean Cayrol ou Alain Robbe-Grillet), et il a toujours choisi ses comédiens dans le monde du théâtre dont il fut toute sa vie un spectateur assidu. C’est donc tout naturellement que la direction de sa troupe d’acteurs, son goût du décor construit, du jeu des éclairages en huis clos et de la structure du récit l’ont amené à se confronter à l’adaptation théâtrale.

Théâtre et cinéma

Alain Resnais fait de son amour de la scène une manière singulière de cinéma pénétré de théâtre, en particulier dans ses trois ingénieuses adaptations des pièces du dramaturge britannique Alan Ayckbourn – Smoking/No Smoking, 1993 ; Cœurs, 2006 ; Aimer, boire et chanter, 2014 –, sans oublier Vous n’avez encore rien vu, 2012, qui imbrique l’une dans l’autre deux pièces de Jean Anouilh. Néanmoins, la critique a préféré retenir la fidélité à la lettre de ces passages du théâtre au cinéma plutôt que leur folle inventivité formelle et leur profondeur thématique. En fait, si son respect du texte adapté le mène, dans Les Herbes folles, jusqu’à l’illustration des jeux de mots de Christian Gailly au moyen de collages visuels étonnants, c’est surtout dans Cœurs que Resnais retrouve la solitude, l’inadaptation tragique et la tristesse des personnages de sa propre filmographie, comme la vérité rythmique de Johann Strauss fils se superpose dans son dernier opus à la musique de Mark Snow, déjà entendue dans Vous n’avez encore rien vu.

L’unité des « films de chambre » des deux dernières décennies réside dans le mélange audacieux de « l’hyper théâtral et l’hyper cinéma », pour reprendre les termes de Resnais, qui exacerbe les pics d’émotion d’Aimer, boire et chanter, vaudeville certes, mais moderne et délicieusement british, teinté d’un surréalisme heureux pris entre absurde et malice. Rien de testamentaire en somme, même si la mort rôde, puisque Resnais disparaît alors qu’il travaillait à une quatrième adaptation d’Ayckbourn, Arrivals and Departures.

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Écrit par

  • : professeur honoraire d'histoire et esthétique du cinéma, département des arts du spectacle de l'université de Caen

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Pour citer cet article

René PRÉDAL. AIMER, BOIRE ET CHANTER (A. Resnais) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

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