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RASKOL

Mot russe qui signifie « schisme ». On désigne ainsi la cassure qui a divisé la chrétienté russe au xviie siècle, mais d'une manière qui en fait comme l'opposé de la Réforme en Occident : le Raskol est une antiréforme caractérisée par un attachement presque magique aux traditions.

Au cours du xvie siècle, la Russie s'était isolée et comme figée dans la conscience d'être la « troisième Rome » et le « troisième Empire », le nombre ordinal désignant un état dernier et définitif. Après le « temps des Troubles » cependant, sous les premiers Romanov, un renouveau s'ébaucha, auquel présidait le patriarche Nikon, issu du cercle des Amis de Dieu. Nikon, avec l'appui du tsar Alexis, qu'il cherche à dominer, entreprend notamment de purifier gestes et textes liturgiques en prenant pour modèle les usages grecs contemporains. Sa brutalité et sa maladresse soulèvent bientôt l'opposition farouche des fidèles les plus fervents et des Amis de Dieu eux-mêmes (cf. P. Pascal, Avvakum et les débuts du Raskol, 1938). Cette hostilité s'explique par le fait que certains usages russes sont plus conformes à la pratique de l'Église ancienne, mais surtout par la xénophobie (mépris des Grecs et des Ukrainiens grécisés et latinisés dont l'influence est grande après l'annexion de Kiev en 1654) et, plus encore, par une sacralisation des mots et des gestes qui rend toute modification scandaleuse ; or, Nikon veut changer non seulement la façon de faire le signe de croix ou de chanter l'Alleluia, mais la prononciation même du nom de Jésus. Bien que le patriarche soit déposé en 1660 pour ses prétentions temporelles, un grand concile réuni à Moscou en 1666-1667, et auquel participent les patriarches orientaux, entérine les réformes et condamne les partisans des anciens rites, provoquant ainsi le schisme définitif des vieux-croyants. Durement persécutés, ceux-ci voient désormais dans le tsar une figure de l'Antéchrist, dans le monde un lieu de perdition, que certains fuient en partant sur les routes de l'Asie, d'autres dans des suicides collectifs par le feu, dans la « mort rouge ». Ce « schisme dans l'âme », que la révolution culturelle de Pierre le Grand n'a fait qu'accentuer, semble constituer une des origines du radicalisme dans la vie politique russe.

Les événements du Raskol ont été magistralement évoqués par un de ses animateurs et de ses martyrs, l'archiprêtre Avvakum, dans sa Vie, qui constitue l'un des premiers grands textes de la littérature russe (traduction française P. Pascal, La Vie de l'archiprêtre Avvakum écrite par lui-même, 1938).

— Olivier CLÉMENT

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, professeur à l'Institut Saint-Serge de Paris

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