Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

PSYCHANALYSE & CONCEPT D'OPPOSITION

La polarité du jugement

À l'opposition des deux grands groupes de pulsion vient s'articuler, dans le texte sur « La Négation » (1925), la doctrine freudienne concernant l'« origine psychologique » de la fonction du jugement. La « polarité » du jugement, négatif et positif, trouverait sa racine génétique dans le couple pulsionnel de la destruction et de l'Éros. La négation serait un « successeur de l'expulsion », dont la fonction est le propre de la pulsion de destruction. L'affirmation serait un « substitut de l'unification », dont la tendance appartient à l'Éros. Freud considère plusieurs étapes dans « la façon dont s'engendre la fonction intellectuelle à partir du jeu des motions pulsionnelles primaires ». Une étape préliminaire est représentée, « au début de la vie psychique », par le narcissisme. « Le moi-sujet [qualifié comme moi-réalité du début] coïncide avec ce qui est plaisant, le monde extérieur avec ce qui est indifférent. » Le moi n'est à ce niveau qu'une monade narcissique, une boule de plaisir, pour laquelle n'existe pas encore la différenciation d'avec le monde extérieur, autrement dit la distinction du dedans et du dehors. Vient ensuite l'étape du « moi-plaisir originel », placée sous la juridiction du principe de plaisir. Le moi y ressent des excitations de plaisir et de déplaisir, d'origine aussi bien interne qu'externe. Alors se crée la limite entre le dedans et le dehors. Le moi « veut s'introjecter tout le bon et expulser hors de lui tout le mauvais ». Ce clivage primitif entre bon et mauvais, manger et cracher, introduire et exclure présuppose le processus de perception et correspond à un premier niveau de « décision » concernant la fonction du jugement. L'étape suivante correspond à la formation du « moi-réel définitif », fonctionnant selon le principe de réalité. Elle est marquée par l'apparition de la représentation, comme reproduction plus ou moins fidèle de la perception. Cette émergence de la fonction représentative achève la différenciation du dedans et du dehors amorcée par l'étape précédente. Alors intervient la seconde « décision » concernant l'activité du jugement. Elle consiste à se prononcer non plus sur la qualité bonne ou mauvaise de l'objet perçu, mais sur l'existence réelle de l'objet de satisfaction et sur la possibilité de le retrouver à partir du contrôle des informations comprises dans le système représentatif. Ceci qui est bon (première étape) peut être retrouvé ou non comme existant dans le réel (deuxième étape). À ce niveau, le jugement « met un terme à l'ajournement par la pensée et du penser fait passer à l'agir ».

Dans son commentaire sur la Verneinung (1955), Jean Hyppolite a rattaché ces deux niveaux primitifs de décision propres à la fonction de juger à la distinction traditionnelle entre jugement d'attribution et jugement d'existence. Sur ce niveau du jugement d'existence se fonde l'apparition de la fonction symbolique, dont l'expression originelle est la forme négative du jugement. L'usage qu'elle implique de la négation marque la séparation de la fonction intellectuelle par rapport à la sphère des processus affectifs, autrement dit l'inconscient. La mise en œuvre du symbole de la négation représente une levée partielle du refoulement. Il en résulte une sorte d'acceptation intellectuelle du refoulé, sans pour autant que le refoulement soit encore supprimé. Cependant, par l'apparition du non, lequel n'existe pas encore dans l'inconscient, la pensée se libère des limitations du refoulement et accède à un premier degré d'indépendance, en s'enrichissant de contenus nouveaux nécessaires à son fonctionnement. La négation est une forme de prise de [...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur de psychologie et d'épistémologie à l'université de Paris-Nord

Classification

Pour citer cet article

Émile JALLEY. PSYCHANALYSE & CONCEPT D'OPPOSITION [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Autres références

  • INCONSCIENT

    • Écrit par , et
    • 8 283 mots
    • 2 médias
    ...Mais l'exclusion est-elle le seul mode de relation exprimé par la négation ? La plus élémentaire réflexion logique amène à considérer qu'un terme qui s'oppose à un autre le suppose et même l'inclut avant de l'exclure, et c'est bien cela que formule l'inconscient en utilisant un seul élément à ...
  • LIBIDO

    • Écrit par
    • 11 337 mots
    • 1 média
    ...est-ce précisément sur la fonction de cette ligne de partage qu'interviendront les développements essentiels de la notion. Pour en résumer le principe, l'opposition de l'organisme au psychisme se doublera de l'opposition de l' inconscient au conscient, le processus organique ne se trouvant...
  • LINGUISTIQUE ET PSYCHANALYSE

    • Écrit par
    • 7 214 mots
    On sait combien l'opposition actif/passif joue un rôle important dans la construction freudienne. En dehors même des exemples que nous avons cités, elle fonde un très grand nombre de concepts essentiels de la théorie. Or cette opposition ne se laisse bien définir que dans certaines traditions grammaticales....
  • OPPOSITION CONCEPT D'

    • Écrit par
    • 18 859 mots
    • 4 médias
    Freud distingue deux mécanismes du traitement des contraires dans le rêve : l'un est l'identification des contraires, l'autre est la transformation dans le contraire. Or, dans le texte intitulé Des sens opposés dans les mots primitifs (1910), il rapproche le premier des vues du linguiste...