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MÉRIMÉE PROSPER (1803-1870)

Une passion froide

<it>Carmen</it>, Prosper Mérimée - crédits : De Agostini/ Getty Images

Carmen, Prosper Mérimée

En 1841, deux ans après un voyage en Corse, Mérimée publie Colomba, que l'on pourrait rapprocher d'une des Chroniques italiennes de Stendhal, si, là encore, il ne donnait la preuve d'une maîtrise qui se fera invisible dans Carmen, son récit à juste titre le plus célèbre, écrit, au dire de l'auteur, en huit jours et publié en 1847. Récit dans le récit, Carmen, dès qu'on cesse d'interposer l'image du bel opéra de Bizet, frappe par la modernité de la composition, par la froideur du ton qui contraste, en de surprenants effets, avec la violence du propos. C'est, avec Manon Lescaut et Les Hauts de Hurlevent, une des histoires d'amour les plus cruelles de l'histoire de la littérature.

Comme Mérimée est l'homme de tous les paradoxes, on n'aura garde d'oublier que cet hyper-Français, qui accumule en lui les qualités et les défauts de la race, a été l'introducteur en France de la littérature russe en ses commencements : Pouchkine et Tourgueniev. Et, de même que cet athée a été le grand sauveteur des églises de France, ce rationaliste, disciple d'Helvétius, a été fasciné par les légendes surnaturelles. Deux de ses nouvelles au moins, La Vénus d'Ille (1837) et surtout Lokis (1869), doivent figurer dans toutes les anthologies, imaginaires ou non, de la littérature fantastique. Ces deux beaux récits prouveraient assez que c'est de la logique et du réalisme le plus précis que peut naître l'épouvante.

Est-il besoin de dire que ce célibataire endurci, cynique et volontiers obscène dans ses propos comme dans sa Correspondance – un autre de ses chefs-d'œuvre – a été un grand amoureux ? Dans sa jeunesse, il se battait avec les maris outragés. Mais il savait, à l'occasion, les défendre. En 1852, il a été condamné à quinze jours de prison pour avoir « diffamé » la justice qui venait de s'en prendre à l'un de ces maris, un « libéral ». Le ministère auquel Mérimée appartenait alors lui avait accordé quinze jours de congé pour qu'il pût purger sa peine sans avoir d'ennuis avec l'administration.

La défaite de 1870 mit fin à ses jours encore plus que l'asthme dont il souffrait depuis longtemps. Il mourut à Cannes en ayant le temps de dire que les Français étaient des imbéciles, mais qu'il ne pouvait s'empêcher de les aimer.

— Guy DUMUR

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Écrit par

  • : directeur des services culturels et critique dramatique au Nouvel Observateur

Classification

Pour citer cet article

Guy DUMUR. MÉRIMÉE PROSPER (1803-1870) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<it>Carmen</it>, Prosper Mérimée - crédits : De Agostini/ Getty Images

Carmen, Prosper Mérimée

Autres références

  • CARMEN, Prosper Mérimée - Fiche de lecture

    • Écrit par Guy BELZANE
    • 1 039 mots

    Court roman ou longue nouvelle, Carmen a d'abord paru dans la Revue des Deux Mondes en octobre 1845, avant d'être publiée en volume chez Michel-Lévy à Paris en 1847, sans grand succès. À lire les quatre lettres publiées par Prosper Mérimée (1803-1870) au retour de son premier voyage...

  • BIZET GEORGES - (repères chronologiques)

    • Écrit par Alain PÂRIS
    • 532 mots
    • 5 médias

    25 octobre 1838 Georges (Alexandre-César-Léopold) Bizet naît à Paris.

    1855 Bizet compose une Symphonie en ut majeur, qui ne sera découverte qu'en 1933, dans la collection Bizet du Conservatoire de Paris. Cette symphonie est créée le 26 février 1935 par l'Orchestre symphonique de...

  • CONSERVATION DES ŒUVRES D'ART

    • Écrit par Germain BAZIN, Vincent POMARÈDE
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    • 4 médias
    En 1840, Mérimée confie à un architecte des bâtiments civils, âgé de vingt-six ans, Viollet-le-Duc, la restauration de l'église abbatiale de Vézelay, en si mauvais état qu'on songeait à la démolir. Viollet-le-Duc la sauvera, en s'inspirant du système d'équilibre des constructions du Moyen Âge, qu'il...
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    De cette conversion à l'amour vrai à la conversion religieuse, il n'y avait qu'un faible intervalle ; curieusement, c'est à l'agnostique Prosper Mérimée qu'il appartient de l'avoir franchi dans son conte Les Âmes du Purgatoire (1834). Il reprenait l'histoire à demi légendaire de don Miguel...
  • FRANCE (Arts et culture) - Le patrimoine

    • Écrit par Nathalie HEINICH
    • 6 813 mots
    • 2 médias
    ...diverses enquêtes préfectorales, elle ne sera véritablement professionnalisée qu'avec les innombrables tournées d'inspection effectuées, de 1834 à 1860, par Mérimée dans les provinces françaises ; et elle ne sera institutionnalisée qu'un siècle plus tard avec la création en 1964, à l'initiative d'...

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