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PREUVE JUDICIAIRE

Primauté de la preuve littérale

La preuve littérale est clairement la moins fragile des preuves, et il n'est pas surprenant de la voir traitée avec une faveur particulière. L'adage « lettres passent témoins », adopté dans de nombreuses législations, fut introduit formellement en France par l'ordonnance de Moulins (1566) et repris presque mot pour mot dans l'actuel article 1341 du Code civil. Celui-ci contient deux règles distinctes, quoique intimement liées entre elles.

Celle qui figure en second lieu exclut la preuve par témoins par présomption de l'homme « contre et outre le contenu aux actes, ou sur ce qui serait allégué avoir été dit avant, lors ou depuis les actes ». Elle repose sur une présomption légale sous-entendue : si les intéressés ont pris soin de dresser un acte écrit, c'est qu'ils ont entendu y inclure tout ce qui leur importait et en exclure toute autre disposition (doctrine anglaise dite de l'intégration).

L'autre règle prescrit aux particuliers d'avoir à passer « acte devant notaires ou sous signatures privées » de toutes choses excédant une certaine somme ou valeur (fixée à 5 000 F par le décret du 15 juillet 1980), la preuve par témoins ou celle par présomption étant également exclues à leur égard. Cette règle suppose, elle aussi, l'existence d'une présomption légale tacite découlant de l'absence d'acte écrit : l'omission de dresser pareil acte fait croire que les parties n'ont pas entendu conclure l'opération alléguée.

Les deux présomptions ne sont pas d'égale vigueur. La première est à peu près irréfragable : elle ne peut être combattue que par des circonstances exceptionnelles (violence, fraude, simulation). En revanche, l'exigence d'un acte écrit comme seule preuve légale comporte de multiples exceptions (contrats de faible valeur pécuniaire, opérations commerciales, obligations non contractuelles ou contractées dans des cas d'urgence, perte fortuite du titre, possibilité de suppléer à l'insuffisance d'un document constituant un commencement de preuve par écrit, etc.).

D'autre part, l'habitude de consigner par écrit les termes de contrats s'est généralisée à tel point que l'écrit, exigé à l'origine comme preuve (ad probationem), est parfois requis pour conférer à l'acte un effet obligatoire (ad solemnitatem). On peut citer à titre d'exemples le testament, le contrat de mariage, l'acte de société. C'est même sous cette forme extrême que l'exigence d'un titre écrit a été adoptée en Angleterre (1677), et a entraîné en retour une réaction d'autant plus vigoureuse (abrogation presque totale en 1954 de l'exigence d'une preuve littérale).

Enfin, toutes les preuves littérales ne sont pas d'une égale force probante. La plus complète est le titre authentique, reçu par un officier public (notaire, officier de l'état civil, consul) : les constatations de l'officier instrumentant ne peuvent être contredites que par la procédure extraordinaire d'inscription de faux. Non seulement l'acte sous seings privés n'a pas lui-même cette autorité, mais la loi le soumet parfois à l'observation de certaines formes particulières (formalité du double pour les contrats synallagmatiques, du « bon » ou « approuvé » pour les promesses unilatérales, de l'enregistrement pour conférer à l'acte date certaine contre les tiers et déjouer la fraude par antidate, du timbrage, etc.). Des règles spéciales se réfèrent aux registres des marchands, aux papiers domestiques, aux effets de commerce, aux billets de banque ; et les quittances, factures, bordereaux, lettres missives ou télégrammes peuvent aussi constituer, sinon une preuve littérale suffisante, du moins un commencement de preuve par écrit. Enfin, la loi du 12 juillet 1980 a accordé force probante[...]

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Écrit par

  • : ancien doyen de la faculté de droit de l'université de Jérusalem

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Pour citer cet article

Shalev GINOSSAR. PREUVE JUDICIAIRE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

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