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POUVOIR (notions de base)

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Le règne de la surveillance

Un dernier ressort du pouvoir, et peut-être son ressort le plus puissant, n’a été identifié que dans la Modernité : il s’agit de la surveillance. À la fin du xviiie siècle, le philosophe anglais Jeremy Bentham (1748-1832) a imaginé une structure architecturale qui n’a guère retenu l’attention avant que des penseurs du xxe siècle n’en soulignent l’importance : le « panoptique » (panopticon). Il s’agit d’un projet de prison dont l'architecture est telle que les prisonniers sont surveillés nuit et jour par un petit nombre de gardiens. Jeremy Bentham la décrit en ces termes : « La tour d’inspection [...] permet au regard de l’inspecteur de plonger dans les cellules, et l’empêche d’être vu, en sorte que d’un coup d’œil il voit le tiers des prisonniers [...] Mais fut-il absent, l’opinion de sa présence est aussi efficace que sa présence même » (Panopticon, 1780).

Michel Foucault (1926-1984) a considéré ce panoptique comme le paradigme du pouvoir, d’un pouvoir non plus pyramidal mais « sans sommet », d’un système de contrôle d’autant plus inquiétant qu’il gomme les aspects violents des anciennes formes de domination en rendant plus difficile toute résistance. « C’est une machine où tout le monde est pris, aussi bien ceux qui exercent le pouvoir que ceux sur qui ce pouvoir s’exerce », écrit Michel Foucault, « une machinerie dont nul n’est titulaire » (L’Œil du pouvoir, 1977). Écoles, prisons, casernes seraient les trois modalités de ce pouvoir moderne sans sommet auquel le philosophe, dans la dynamique intellectuelle des années 1960, a consacré une partie de son œuvre.

Que l’on partage ou non les analyses de Michel Foucault, il semble difficilement contestable qu’une nouvelle et décisive étape de la surveillance généralisée ait vu le jour. Enserrés dans la toile géante qu’est le Web, englués dans des réseaux sociaux auxquels ils accordent sans en être conscients un gigantesque pouvoir de contrôle, catégorisés toujours plus finement par une intelligence artificielle omnisciente, les individus n’habitent-ils pas sans le savoir un panoptique planétaire ? Sur une Terre globalisée et de plus en plus uniformisée ne sont-ils scrutés jour et nuit par un surveillant auquel rien n’échappe ? « Big Brother iswatchingyou » : la célèbre formule de la dystopie 1984 (publiée en 1949), de George Orwell (1903-1950), en viendrait-elle, désormais, à résumer notre condition ?

— Philippe GRANAROLO

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Écrit par

  • : professeur agrégé de l'Université, docteur d'État ès lettres, professeur en classes préparatoires

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Pour citer cet article

Philippe GRANAROLO. POUVOIR (notions de base) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 06/04/2021

Autres références

  • ADORNO THEODOR WIESENGRUND (1903-1969)

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    • 1 média
    ...interne. Le projet légitime de la raison de libérer les hommes de la peur – peur de la mort, peur des dieux – donne lieu à inversion quand il s'inscrit sous le signe de la souveraineté, quand il identifie malencontreusement la libération de la peur à une volonté de souveraineté. C'est dans cette désastreuse...
  • ALAIN ÉMILE CHARTIER, dit (1868-1951)

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    ...l'inégalité de fait par la proclamation de la souveraineté du peuple. Mais cela même transforme la République. Si le peuple, qui n'exercera jamais aucun pouvoir, est dit souverain, c'est que le pouvoir a cessé de l'être. La force en s'organisant se règlemente et appelle le droit, mais elle ne peut se valider...
  • ANTHROPOLOGIE

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    ...explicatifs, c'est-à-dire les théories totalisantes et les politiques révolutionnaires du passé. Affirmer détenir la vérité ou connaître la réalité des choses, c'est exercer un pouvoir dans la mesure où c'est sa propre voix qui est exposée aux dépens des autres voix. Avec lui (et bien qu'ils ne se soient eux-mêmes...
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