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FÉNELON PHILIPPE (1952- )

L'opéra des mythes

Dans les années 1980, Philippe Fénelon, qui a toujours été très intéressé par les rapports entre musique et littérature, se lance dans l'opéra. Passionné depuis toujours par ce genre, il est un des rares compositeurs contemporains à avoir pleinement conscience des contraintes qu'il implique : importance du livret et de la narration, rapports entre l'orchestre, les voix et la scène.

Le Chevalier imaginaire, opéra en un prologue et deux actes, dont il a écrit lui-même le livret, d'après Miguel de Cervantès et Franz Kafka, est composé de 1984 à 1986 et créé le 27 janvier 1992 au théâtre du Châtelet, à Paris, par l'Ensemble InterContemporain placé sous la direction de Peter Eötvös, dans une mise en scène de Stéphane Braunschweig. Avec cet ouvrage, Philippe Fénelon lance un pont entre Cervantès et Kafka. La nouvelle de Kafka, La Vérité sur Sancho Pança, propose en effet une lecture de l'histoire de don Quichotte : Sancho invente un personnage avec lequel il vit des aventures étonnantes mais, lassé de cet être, il le chasse de sa vie. Le prologue montre la raison pour laquelle don Quichotte part de chez lui : si on brûle les livres dans lesquels il trouvait un appui à son imaginaire, c'est à travers le monde qu'il pourra trouver ce qu'il cherchait dans les histoires de chevalerie. Cet opéra présente donc le cheminement de deux êtres qui jouent, l'un avec son imagination, l'autre avec la réalité, qui est fausse ! La musique fait totalement corps avec le texte : musique en liberté, passant allègrement d'un style naïf à une verve ironique rappelant directement la naïveté de don Quichotte et l'ironie de Sancho.

De 1991 à 1998, Fénelon compose Salammbô, sur un livret de Jean-Yves Masson et de lui-même d'après le roman de Gustave Flaubert. Très lyrique, cette œuvre en trois actes, créée le 16 mai 1998 à l'Opéra-Bastille, sous la direction de Gary Bertini, dans une mise en scène de Francesca Zambello, s'inscrit dans la tradition du grand opéra français, avec treize voix solistes (dont six rôles principaux), un chœur d'hommes, un chœur de femmes et un grand orchestre auquel s'adjoint un dispositif électroacoustique réalisé dans les studios de l'I.R.C.A.M. Elle séduit par la variété et par la richesse de son tissu sonore ; mêlant tonalité et atonalité, on y détecte des hommages appuyés à tous les compositeurs que Fénelon admire : Richard Wagner, Giacomo Puccini, Messiaen – un des dédicataires de cette œuvre –, Zimmermann. La limpidité de la prosodie donne au texte une grande lisibilité. Avec Salammbô, Philippe Fénelon aboutit à un sommet de son expressivité musicale.

Le 23 mai 2004, son opéra en trois actes Les Rois, composé en 1988-1989 et révisé en 2002, est créé au Grand-Théâtre de Bordeaux ; la mise en scène, les décors et les costumes de la création sont de Yannis Kokkos. Le livret, élaboré par le compositeur, est adapté du poème dramatique Los Reyes de l'Argentin Julio Cortázar. Cortázar et Philippe Fénelon proposent une relecture du mythe du Minotaure, de sa demi-sœur Ariane et du roi Minos. Dans Los Reyes, le mythe du Minotaure comporte en effet un caractère incestueux : Ariane, qui voudrait devenir reine, n'est pas amoureuse de Thésée, mais de son demi-frère le Minotaure. Thésée, minable calculateur, n'est en fait que l'instrument de pouvoir de Minos. En revanche, le Minotaure n'est pas le monstre que le mythe présentait ; c'est un être de bonté et d'amour, qui n'est coupable d'aucun crime. Il représente celui qui voudrait délivrer le peuple du tyran Minos. Le Minotaure ne se défend pas lors de son combat avec Thésée et demande même à mourir. À sa mort, c'est tout un monde de liberté qui disparaît avec lui. « Pour moi, il s'agissait simplement de donner une version différente du[...]

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Écrit par

  • : musicologue, analyste, cheffe de chœur diplômée du Conservatoire national supérieur de musique de Paris, chargée de cours à Columbia University, New York (États-Unis)

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Média

<em>Faust</em>, de Philippe Fénelon, d'après Nikolaus Lenau - crédits : Aksaran/ Gamma-Rapho/ Getty Images

Faust, de Philippe Fénelon, d'après Nikolaus Lenau