MURALISME
En juillet 1921, le peintre Diego Rivera (1886-1957) rentre au Mexique après quatorze années passées en Europe, notamment en Espagne et à Paris. Il a également passé un an en Italie où il a longuement médité sur les fresques de Padoue, de Ravenne, d'Assise et de Sicile. De retour au Mexique, sa première peinture murale, La Création, exécutée entre 1921 et 1922 à l'École nationale préparatoire de Mexico, montre à l'évidence combien cette influence a été forte. Si l'on en croit sa correspondance de l'époque, l'expérience italienne lui a révélé l'absence de solution de continuité entre l'art et le quotidien. L'acte esthétique, jadis envisagé dans son « mystère » et dans sa soudaineté, doit redevenir l'expression de la mentalité et des sentiments collectifs. Rivera a acquis la conviction que l'œuvre est avant tout communication et, en premier lieu, « instauration d'un nouvel ordre libérateur » pour le public autant que pour l'artiste. L'œuvre picturale sera ouverte à tous, sans distinction d'origine sociale ou culturelle, mais le besoin de lisibilité maximale exige qu'elle soit organisée, « construite ». Tous les langages (cubisme, futurisme, impressionnisme) y ont droit de cité, à condition que l'unité de l'œuvre soit préservée et que l'ensemble soit solidement structuré.
Le muralisme reçoit, dès le départ, le soutien de José Vasconcelos, ministre de l'Éducation publique de 1921 à 1924. Celui-ci commande les premières peintures murales à Roberto Montenegro (1887-1968) et à Fernando Leal (1896-1964). Il fait également revenir Diego Rivera et David Alfaro Siqueiros (1896-1974) de leur exil européen. Enfin, il donne du travail à José Clemente Orozco (1883-1949) qui, après une expérience décevante au Texas entre 1917 et 1920, gagnait sa vie en dessinant dans les journaux des caricatures, dont on retrouvera la trace dans ses premières fresques. Le ministre envoie aussi les peintres sur différents sites archéologiques, afin de contempler les fresques précolombiennes. Ils sont payés comme des instituteurs et l'État leur passe commande. Autour des trois figures majeures que sont Rivera, Orozco et Siqueiros gravitent de nouveaux talents, tels Fermín Revueltas (1902-1935), Jean Charlot (1898-1979), Xavier Guerrero (1896-1974) et Carlos Mérida (1891-1985), qui forment les principaux représentants du muralisme.
Un art pour le peuple
La recherche d'un énoncé propre à cette peinture qui sort des musées conduit les muralistes – à l'exception notoire de José Clemente Orozco – à abandonner la symbolique plus ou moins ésotérique qui caractérisait leurs premières fresques. Un certain nombre de thèmes dominants compose le code figuratif du muralisme : l'exaltation de l'homme mexicain dans ses fêtes, ses activités productives, son aspiration à la terre, sa régénération par l'éducation, sa participation à la révolution, dont les grandes figures – Pancho Villa, Emiliano Zapata – peuplent les fresques. Mais assez vite, chez Siqueiros et Rivera, tous deux membres du parti communiste et invités en Union soviétique en 1928, le message idéologique délivré par les peintures murales se fait plus explicite. Certains panneaux des fresques de Rivera au ministère de l'Éducation nationale (1923-1928) s'intitulent Chant de la révolution prolétarienne ou Chant de la révolution agraire. Siqueiros peint Enterrement d'un ouvrier sacrifié, Mère prolétarienne, etc. Pour sa part, Orozco, s'il montre l'exploitation de l'homme par l'homme, reste à l'écart de ce que d'aucuns qualifient à l'époque de propagande bolchevique. Sa vision des effets de la révolution mexicaine commencée en 1910 est, à l'instar de celle de romanciers comme Azuela ou Guzmán ou de celle de Vasconcelos dans ses Mémoires, de plus en plus désenchantée. En 1926, il peint la Trinité révolutionnaire (Antiguo Colegio de San Ildefonso, Mexico), où un paysan aux mains coupées figure à côté d'un ouvrier qui se tient désespérément la tête entre les mains, sous un homme armé d'un fusil et aveuglé par un chiffon rouge. Or on sait d'après des esquisses préalables que la fresque représentait primitivement le paysan et l'ouvrier au travail, sous la protection du soldat.
« Le peintre qui ne ressent pas d'affinités avec les aspirations du peuple, écrit Diego Rivera en novembre 1921, ne peut pas produire une œuvre durablement valable. Ce ne doit pas être le cas de celui qui peint des murs, décore des maisons, des palais, des bâtiments publics. Un art coupé des objectifs pratiques n'est pas un art. » En 1922, le Syndicat des peintres, sculpteurs et ouvriers techniques, présidé par Rivera, publie une « déclaration sociale, politique et esthétique », où il affirme que le credo esthétique de la nouvelle génération de peintres aspire à épouser la sensibilité collective du peuple : « Notre objectif fondamental est de socialiser l'expression artistique, qui tend à effacer totalement l'individualisme, lequel est bourgeois. » Désormais, les conditions de la création impliquent à la fois la condamnation de la peinture de chevalet – que Rivera et les autres continuent malgré tout de pratiquer – parce qu'elle est foncièrement « aristocratique » et la « glorification de l'art monumental, parce qu'il est propriété publique ». L'art devient une « puissance d'éducation et de lutte ». Il s'agit donc de promouvoir une peinture lisible par tous, mais sans tomber dans un art purement décoratif, qui s'attacherait surtout au pittoresque, « touristique et excentrique », pour reprendre la formule utilisée par David Alfaro Siqueiros et Jean Charlot en 1923 dans une série d'articles ironiques et vengeurs parus dans le journal El Demócrata.
Il serait illusoire de croire que le muralisme a suscité immédiatement une adhésion unanime. Des étudiants se mobilisent pour venir la nuit gratter les fresques ; les critiques se multiplient dans la presse de la capitale : on parle de « culte de la laideur », de « manifestations de délire artistique », de « collusion démagogique » entre la peinture et la politique et, dès 1924, d'impérialisme esthétique. En fait, comme l'ont remarqué plus tard Octavio Paz, Luis Cardoza y Aragón et d'autres, le muralisme, tel que l'ont pratiqué Rivera, Siqueiros et leurs disciples, contenait une « contradiction fondamentale » : « Évidemment, écrit Orozco dans son Autobiographie, la socialisation de l'art était une promesse à long terme, car elle ne pouvait pas être possible tant que la structure de la société ne changerait pas radicalement. En outre, il fallait définir avec exactitude la signification du mot « socialiser » dans ses rapports à l'art, car il en existe de nombreuses et de très différentes interprétations ».
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Écrit par
- Claude FELL : professeur émérite à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
Classification
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- PEINTURE MURALE
- SÉMIOLOGIE DE L'ART
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- CHARLOT JEAN (1898-1979)
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