MOUSSON

Anthropologie de la mousson

Un terme de navigation

Le mot « mousson » fut inventé par les navigateurs utilisant les vents alternants qu'ils désignaient ainsi pour traverser la mer d'Oman à la voile. Depuis l'Antiquité, en effet, les entrepôts de la côte du Malabar au sud-ouest de l'Inde (Cranganore et, plus tard, Calicut, Cochin) n'ont cessé d'exporter des épices vers le monde méditerranéen. Aux productions locales s'ajoutaient des épices venant d'autres régions de l'Asie, dont, au passage, les médecins locaux ont exploré les propriétés thérapeutiques pour combattre rhumatismes et fièvres. C'est la mousson qui fit de cette région le « pays des épices » par excellence, en lui donnant le rôle de plaque tournante dans le commerce des épices.

La mousson a commandé pendant deux millénaires (jusqu'à l'avènement des bateaux à vapeur) le trafic dans la mer d'Oman. D'après le témoignage de Strabon (II, v, 12), géographe gréco-romain, on savait déjà, en l'an 25 avant J.-C., tirer parti de la mousson pour une traversée directe. « On voyait jusqu'à cent vingt navires mettre à la voile [sur les bords de la mer Rouge] pour l'Inde », où l'on venait chercher le poivre, le gingembre, la cannelle et bien d'autres épices. Le retournement des vents deux fois par an permettait de cingler en été du sud de l'Arabie par l'île de Socotra jusqu'à la côte du Malabar, et d'en revenir en hiver. Ce bref rappel historique n'est pas inutile dans la mesure où il enseigne l'existence d'une association traditionnelle entre la mousson et les épices. Cependant, le point de vue des marins qui ont inventé le mot lui-même de « mousson » reste extérieur aux conceptions indigènes. Les marins ne voient que le phénomène météorologique d'un renversement périodique des vents, là où, dans le calendrier, le folklore et les sciences de l'Inde, ce renversement périodique développe une bipolarité de l'univers, une alternance fondamentale du sec et de l'humide.

La saison des pluies dans le calendrier

Nées dans la plaine indo-gangétique et dans le monde rural, la culture traditionnelle et la littérature classique de l'Inde expriment sur la mousson le point de vue de l'agriculteur et du jardinier. Ce point de vue codifié depuis l'Antiquité a pris la forme d'un cycle des saisons tout à fait particulier et très différent du cycle des quatre saisons qui prévaut en Occident et, dans une moindre mesure, en Chine. Du fait de la mousson d'été, qui éclate en juin et dure plusieurs mois, l'année se réduit essentiellement à trois saisons et non pas quatre. C'est là un fait d'expérience vécue que le calendrier traditionnel, le folklore et les textes se sont bornés à enregistrer sans nullement le déformer. Concrètement, pour quiconque a l'expérience du climat indien, le printemps et l'automne y apparaissent comme des périodes fugitives, à peine perceptibles. Il existe, en fait, trois véritables saisons, qui sont l'hiver, les chaleurs et les pluies. La saison des pluies couvre une période de quatre mois. Caturmāsa (« les Quatre Mois ») est précisément le nom sanskrit de la mousson, lorsqu'elle est envisagée dans ses rapports avec la mythologie hindoue, les rituels et le cycle des fêtes. Pendant ces quatre mois, de juin à septembre, se déroulent les activités agricoles qui produiront la récolte kharīf (c'est-à-dire, en hindi, la récolte « d'automne ») : semailles avec les premières pluies, de mai à juillet, selon les régions ; récolte à partir de septembre et jusqu'en janvier, pour les plantes à cycle long. Quelques-unes des fêtes les plus importantes de l'année concluent cette période, en particulier dīpāvali (la [...]

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Écrit par

  • René CHABOUD : ingénieur à Météo France
  • Francis ZIMMERMANN : agrégé de philosophie, docteur ès lettres, directeur d'études à l'École des hautes études en sciences sociales (anthropologie et histoire des sciences dans le monde indien)

Classification

Pour citer cet article

René CHABOUD, Francis ZIMMERMANN, « MOUSSON », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le . URL :

Médias

La mousson

La mousson

La mousson

La circulation continue, dans le Tamil Nadu, en Inde, lors des inondations causées par la mousson.

Extension géographique de deux variétés de climat de mousson en Asie du Sud-Est

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Extension de la forêt de mousson en Inde

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Autres références

  • MOUSSON ASIATIQUE

    • Écrit par Alexis LICHT
    • 5 920 mots
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    La mousson – inversion saisonnière des vents à l’interface océan-continent – contrôle l’intensité des précipitations dans les régions les plus peuplées du globe, aux basses et moyennes latitudes. Pendant l’été, les zones continentales aux marges de la ceinture équatoriale reçoivent une[...]

  • AFRIQUE (Structure et milieu) - Géographie générale

    • Écrit par Roland POURTIER
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    • Écrit par Jacqueline BEAUJEU-GARNIER, Danièle LAVALLÉE, Catherine LEFORT
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  • AMOUR, fleuve

    • Écrit par Laurent TOUCHART
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    Les pluies sur l'Inde sont très inégalement réparties ; les contrastes pluviométriques sont très marqués. Entre les Ghāts occidentaux (plus de 6 m de pluie) d'une part, le Chota Nagpur (plus de 3 m) et les collines de l'Assam (plus de 12 m), d'autre part, le cœur du Deccan est[...]
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