METROPOLITAN OPERA DE NEW YORK (MET)
Pour l'amateur lyrique, habitué à des lieux chargés d'histoire et de charme, nul choc esthétique au Lincoln Center, où l'attend, depuis 1966, un bâtiment d'un modernisme daté, cube de béton et de verre. Pourtant, le Metropolitan Opera House partage avec la Scala de Milan le prestige d'être le premier Opéra du monde. Et il peut se targuer, à bon droit, d'une longue et riche histoire.
Cette histoire commence bien avant 1966 et dans un tout autre lieu. Le 22 octobre 1883, en inaugurant, à l'angle de Broadway et de la 39e Rue, une très vaste salle (3 615 places), des capitalistes d'un pays neuf ont fait se télescoper, si l'on peut dire, l'histoire de l'art lyrique et les réalités de New York, métropole industrieuse et cosmopolite. Dans tous ses aspects, répertoire et artistes programmés, public, image de marque, le Met va refléter les relations particulières qu'entretiennent les États-Unis avec la culture, dans ses aspects positifs mais aussi dans ses travers, que le snobisme européen ne manquera pas de souligner.
Dans un pays sans tradition et même sans histoire lyrique, le Met fut d'abord et reste encore le plus souvent le lieu d'accueil d'un patrimoine étranger. La salle ouvrit le 22 octobre 1883 par une représentation du Faust de Gounod chanté en italien par Christine Nilsson, Italo Campanini et Franco Novara. Au cours des sept années où Leopold Damrosch puis Anton Seidl la dirigèrent, de 1884 à 1891, on n'y représenta que des opéras de Wagner, en langue originale, et interprétés par des artistes germaniques.
C'est au Met que furent programmés, en 1903, le premier Parsifal créé hors de Bayreuth, mais aussi, en 1908, Don Giovanni dirigé par Gustav Mahler ou bien encore Aïda conduit par un Toscanini débutant. De 1904 à sa mort, en 1921, l'artiste favori du Met fut Enrico Caruso. Jusqu'en 1910 et The Pipe of Desire de Frederick Shepherd Converse, pas une seule œuvre d'un compositeur national ne fut inscrite au programme. À noter qu'en cette même année 1910, décidément faste, eut lieu, le 10 décembre, la création mondiale de l'œuvre « américaine » de Puccini, La Fille du Far West (La Fanciulladel West), sous la baguette de Toscanini. Le Met sera dirigé par Giulio Gatti-Casazza, ex-directeur de la Scala, de 1908 à 1935, très brièvement – un mois à peine – par Herbert Witherspoon, en 1935, puis par Edward Johnson, jusqu'en 1950.
De 1950 à 1972, Rudolf Bing, Viennois à la glorieuse carrière européenne, préserve et renforce même cette vocation du Met à être le rendez-vous favori des stars internationales du chant et des œuvres les plus goûtées du répertoire. James Levine, qui prend la direction musicale en 1976, se borne à ouvrir la programmation aux nouvelles tendances en cours à Salzbourg ou à Milan : opéras moins connus de Mozart – Idomeneo, La Clemenza di Tito –, certains de Haendel – Rinaldo, Samson, Giulio Cesare, Rodelinda – et quelques classiques du xxe siècle, de Janáček – Jenůfa, KátyaKabanová, L'Affaire Makropoulos –, de Berg – Wozzeck, Lulu – ou de Britten – Peter Grimes, Billy Budd, A MidsummerNight'sDream.
Mais ce conformisme européen est aussi le signe de ce que les États-Unis, et plus particulièrement New York, ont représenté pour le Vieux Continent : un refuge pour sa culture et, souvent, un asile pour ses artistes. Ainsi, au début du xxe siècle, quand l'Europe s'épuise sur les champs de bataille ou exclut les laissés-pour-compte de la révolution industrielle, la place prépondérante qu'accorde la scène new-yorkaise aux opéras de Verdi ou de Puccini, à Titta Ruffo, Amelita Galli-Curci ou Giuseppe De Luca répond au mouvement d'immigration des Italiens du Sud fuyant la misère. Et le succès d'un John McCormack renvoie une image positive des arrivants d'Irlande. Puis, quand le fascisme et le nazisme chassent les musiciens d'origine juive ou de conviction démocratique, le Met, lui, programme Bruno Walter, Lotte Lehmann, Helen Traubel, Lauritz Melchior ou Kirsten Flagstad.
Mais il est des traits plus proprement américains : la manière « décomplexée » dont le Met envisage les relations entre culture et argent, d'une part, art et médias, d'autre part. À l'origine, l'établissement vit le jour grâce à la souscription de capitalistes privés, les Vanderbilt, Roosevelt, et autres Morgan, désireux de satisfaire leur mélomanie et leur souci de légitimité sociale. La salle actuelle du Lincoln Center a coûté 46 millions de dollars, partagés entre financement public et privé. Une place peut y valoir plusieurs centaines de dollars, mais, tous les mois de juin, la troupe se produit gratuitement dans les parcs de la ville. Le Met, par ailleurs, a su très tôt tirer parti des médias audiovisuels, à la fois pour asseoir son renom et pour élargir son audience. Lionel Mapleson, bibliothécaire de l'établissement entre 1901 et 1903, enregistre de sa propre initiative les principaux chanteurs programmés, les frères Jean et Edouard de Reszke notamment. Et, dès 1906, l'éditeur commercial Victor consacre une partie de son catalogue aux formations du Metropolitan Opera : orchestre, chœurs et certains solistes (Emilio de Gogorza, par exemple, dans l'air du toréador de Carmen, en 1912). En 1931 commencent les retransmissions radiophoniques du dimanche après-midi, en direct, sur N.B.C. : HänselundGretel d'Humperdinck est diffusé le jour de Noël, en intégralité, sur tout le continent nord-américain et outre-Atlantique. Le 10 mars 1940, enfin, N.B.C. inaugure les retransmissions télévisées, avec un concert composé d'extraits d'opéras italiens et français interprétés notamment par Leonard Warren, Licia Albanese et Bruna Castagna. Dans la droite ligne de cette tradition, le Met organise, en 2006, la première retransmission au monde d’une captation d'opéra, La Flûte enchantée de Mozart, dans des salles de cinéma. Une initiative réussie qui sera bientôt imitée par d’autres salles lyriques.
Institution patrimoniale dans une métropole à l'histoire récente et traversée des rudesses de la modernité, la scène new-yorkaise s'est construit une véritable personnalité. Pour tout artiste lyrique (chanteur, chef d'orchestre ou scénographe), elle est le passage obligé d'une carrière internationale, d'autant plus recherché qu'il est largement couvert par les médias. Et, peu à peu, elle a bâti une école de chant prestigieuse. La part des ouvrages de compositeurs américains n'a cessé de se renforcer – créations de The Ghosts of Versailles de John Corigliano en 1991, de The Great Gatsby de John Harbison en 1999, de An American Tragedy de Tobias Picker en 2005 – et la nouvelle salle du Lincoln Center for the Performing Arts s'est ouverte, le 16 septembre 1966, avec la création d'Antony and Cleopatra de Samuel Barber. Dans le domaine de l'interprétation, la relève est magistralement assurée par plusieurs générations d'artistes formés aux États-Unis. Ce sont eux désormais que recherchent les scènes européennes : Marilyn Horne, Samuel Ramey, Renée Fleming, David Daniels...
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Écrit par
- Elizabeth GIULIANI : conservateur général à la Bibliothèque nationale de France
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Média
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