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KEMP MARTIN (1942- )

Images et vérité

L'œuvre de Léonard de Vinci occupe une part importante de la volumineuse bibliographie de Kemp. Les travaux et les éditions qu'il lui a consacrés sont aujourd'hui des références dans le domaine. De Leonardo da Vinci: The Marvelous Work of Nature and Man (1981, prix Mitchell du meilleur premier livre) au plus vulgarisé CD-ROM Leonardo da Vinci (1996) consacré au Codex Leicester, acquis par Bill Gates, et Leonardo (2004), ses contributions dressent un portrait méticuleux de l'artiste-savant. Elles rompent en particulier avec la tendance au « culte du génie » forgée au xixe siècle et qui se perpétue, selon Martin Kemp, lorsque l'on considère « La Science » et « L'Art » au singulier et avec une majuscule. Replacée dans son contexte intellectuel, scientifique et social, la fabrication des images de Léonard apparaît comme le fruit d'une intelligence visuelle inséparable d'une compréhension idéale du monde naturel : « Aucun aspect de la variété infinie de la nature, que ce soit le mouvement de l'eau ou l'arrangement des branches des plantes, n'était exempt de la conviction selon laquelle une grille de classification et un système de causes devaient apparaître derrière les divers effets figuratifs » (Leonardo da Vinci, 1981). Cette attitude n'est bien sûr pas propre à Léonard, mais témoigne de processus de visualisation plus généraux qui forment précisément l'objet de recherche de l'historien. Martin Kemp montre d'ailleurs qu'au xviiie siècle, par exemple, les descriptions zoologiques naturalistes sont inséparables d'un système théorique et philosophique fondé sur les idées d'environnement, d'adaptation, de fonction et de comportement (TakingIt on Trust, 1990).

Les analyses de l'historien britannique visent toujours la reconstitution du « dialogue qui se noue entre le comportement des matériaux dans la nature et l'appropriation, la reformulation consciente des processus qui sous-tendent la science et l'art » (Immagine e verità, 1999). Ainsi, The Science of Art (1990), consacré aux thèmes de l'optique dans l'art occidental de la Renaissance au xixe siècle, retrace la construction et les transformations successives de la « croyance selon laquelle l'observation directe de la nature par les facultés de la vision était essentielle pour comprendre sa structure ». L'histoire de la figuration naturaliste y apparaît comme l'entrelacement de conceptions de la nature, de savoirs disciplinaires, de techniques, d'instruments, d'influences, autant de facteurs qui composent des situations spécifiques de mise en image du monde poursuivant des finalités très diverses : l'enquête sur la nature, l'aspiration mystique, le sentiment du « merveilleux » ou encore le divertissement optique. L'adéquation des images à la structure optique du visible participe selon Martin Kemp d'une « rhétorique de la réalité », c'est-à-dire de « l'utilisation de traits visuels reconnaissables et d'un naturalisme privé de compromis pour convaincre celui qui regarde que ces formes sont le portrait du vrai » (Temple of the Body and Temple of the Cosmos, 1996). Ce relativisme n'aboutit pas chez l'historien à décréter l'équivalence des modes de figuration, mais à défendre la position méthodologique selon laquelle il est impossible de comprendre les images du passé en les regardant selon les modalités fonctionnelles que nous adoptons aujourd'hui.

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Écrit par

  • : professeur d'études sociales des sciences et de la médecine à l'université de Lausanne, directeur de la fondation Claude-Verdan, musée de la Main, Lausanne

Classification

Autres références

  • THE SCIENCE OF ART, Martin Kemp

    • Écrit par
    • 1 225 mots

    Depuis les travaux de Panofsky sur la naissance de la perspective linéaire à la Renaissance, ou sur le versant théorique de l'imaginaire artistique d'Albrecht Dürer, l'histoire de l'art mesure mieux l'importance des relations entre la science et l'art. L'affinité qui a pu exister entre...