THE SCIENCE OF ART, Martin Kemp
Depuis les travaux de Panofsky sur la naissance de la perspective linéaire à la Renaissance, ou sur le versant théorique de l'imaginaire artistique d'Albrecht Dürer, l'histoire de l'art mesure mieux l'importance des relations entre la science et l'art. L'affinité qui a pu exister entre ces deux activités, à diverses périodes de leur histoire, est au cœur des travaux de Martin Kemp. The Science of Art (La Science de l'art. Thèmes optiques dans l'art occidental, de Brunelleschi à Seurat), de Martin Kemp, est un ouvrage qui par son ampleur ne peut guère être comparé, parmi les grandes synthèses publiées dans les années 1990, qu'à Colour and Culture de John Gage, lequel aborde d'ailleurs des questions voisines de celles que traite Kemp. Professeur d'histoire de l'art à l'université d'Oxford, l'auteur a contribué à renouveler la connaissance de l'art de Léonard de Vinci dans ses rapports avec la spéculation scientifique de son temps. Parmi les travaux de Kemp sur l'artiste italien, on peut citer sa contribution à l'étonnant CD-Rom sur le Codex Leicester (Codex Hammer) de Léonard de Vinci, acquis en 1994 par l'industriel américain Bill Gates, président de Microsoft.
Invention et développement de la perspective linéaire
Le domaine embrassé par Martin Kemp dans The Science of Art est immense. Il distingue trois grands moments dans l'histoire des relations entre les modèles scientifiques de compréhension de la nature et la création artistique ; trois époques qui déterminent les différentes parties de l'ouvrage, dans lequel sont examinées quatre siècles d'affinités entre l'art et la science. C'est la question des « thèmes optiques », qu'il s'agisse de perspective, de camera obscura ou d'analyse des couleurs, qui ordonne la réflexion de Kemp. En accord avec le terme grec Optiké, que l'on peut aussi bien traduire par « science de la vision » que par « perspective », Kemp ouvre sa première partie sur l'invention à Florence de la perspective linéaire par Filippo Brunelleschi et sur ses premiers développements chez Giotto ou Duccio di Buoninsegna. Par perspective linéaire, il faut entendre le procédé qui permet de représenter les objets tridimensionnels sur une surface bidimensionnelle, de sorte que la représentation coïncide avec celle que fournit la vision directe. Comme le montre l'auteur, les premiers exemples de construction perspective au Trecento, tels que le panneau de la Tentation du Christ au Temple, de la Maestà de Duccio (1308-1311, Museo dell'Opera del Duomo, Sienne), se voulaient moins l'application d'un schéma théorique qu'un moyen parmi d'autres d'organiser l'espace. En revanche, les artistes du Quattrocento, de Masaccio à Piero della Francesca, de Ghiberti à Léonard de Vinci, feront de la construction de l'espace pictural une technique de plus en plus précise, et de la perspective un horizon théorique guidant de plus en plus étroitement leur création. D'où l'effort de codification théorique de la perspective chez Leon Battista Alberti, ou même chez Albrecht Dürer, qui en introduit la pratique et la réflexion au nord des Alpes.
Au xvie siècle, on peut parler de spéculation chez Jean Pèlerin Viator, chez l'architecte Sebastiano Serlio, ou chez Jean Cousin, dont le Livre de perspective (1560) illustre l'association étroite, en France, entre la théorie de la perspective et l'architecture. En Italie, au xvie siècle, la perspective a partie liée avec la spéculation sur la géométrie. L'absorption progressive de la perspective géométrique dans les mathématiques s'accomplit magistralement dans l'œuvre de Galilée. On s'étonne d'ailleurs de voir, au fil du texte, alors qu'entrent en scène les grands théoriciens[...]
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Écrit par
- François-René MARTIN : ancien pensionnaire à l'Institut national d'histoire de l'art, chargé de cours à l'École du Louvre
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