KEMP MARTIN (1942- )
Le sens des images
Cette question de méthode sert de fil conducteur à une synthèse consacrée à la Renaissance, Behind the Picture: Art and Evidence in the Italian Renaissance (1997, prix de l'Italian Association of America en 1999). Au fil des études de cas qui composent ce volume, Martin Kemp discute de manière réflexive la question des sources historiques et de leurs utilisations en histoire de l'art. Pour lui, un des problèmes majeurs de la discipline est la tendance, le plus souvent inconsciente, à classer dans le registre des « écrits artistiques », tels que nous les concevons aujourd'hui, des documents dont l'hétérogénéité est à la mesure de celle des contextes et des situations de production des images. Il plaide pour une « approche fonctionnelle » qui évite d'emprisonner les représentations visuelles dans des préconceptions de l'art produites par l'histoire, la critique ou les impératifs liés à ses usages contemporains. En découle un empirisme sophistiqué qui renonce de manière délibérée aux théories générales de l'esthétique, de la perception, de la signification ou de la représentation. Martin Kemp aboutit ainsi à ce que l'on pourrait appeler un « contextualisme » qui permette de rendre la complexité des représentations visuelles du point de vue de l'hétérogénéité des causes qui sous-tendent leur réalisation, de la pluralité des intentions qui leur sont attachées, de la variété des fonctions qu'elles sont amenées à remplir et des registres d'interprétation qui interviennent dans l'expérience visuelle des observateurs, historiens de l'art inclus : « Dans l'histoire de l'art, nos demandes sont déterminées par l'image de ce que nous retenons comme important dans le processus de réalisation d'une œuvre artistique et, de manière encore plus fondamentale, de ce que nous considérons comme important dans l'art lui-même » (The Taking and Use of Evidence, 1984). Le travail de l'historien prend alors la forme d'une reconstitution du « réseau de causalités » à l'intérieur duquel s'inscrit la production d'une image particulière et ses différentes réceptions toujours socialement et historiquement situées.
En sillonnant les chemins entre art et science, dans ses articles pour la revue Nature notamment, Martin Kemp explore de surprenantes parentés entre des répertoires de formes exploités par les artistes et les chercheurs. Mais plutôt que de se demander qui de l'art ou de la science influence l'autre, l'historien est amené à rechercher des causes plus profondes qui semblent former une contrepartie pour ainsi dire « anthropologique » au contextualisme que nous avons évoqué. Elle semble loger dans ce qu'il nomme l'« intuition structurelle », c'est-à-dire les processus perceptuels, cognitifs, analytiques, de la modélisation et de l'imagination qui sont à l’origine de notre appréhension du monde visible. Il est de prime abord surprenant d'entendre un historien comme Kemp déclarer « croire fermement au caractère non arbitraire des relations entre la manière dont la nature fonctionne et l'appareil dont nous sommes pourvus pour donner un sens fonctionnel au chaos sensoriel du monde ». Pour autant, il n'y a selon lui aucun déterminisme dans cette conviction. Les artistes et les scientifiques, comme tous les « faiseurs d'images », jouent un rôle actif dans la construction de l'environnement humain, mental et physique. Ils participent ainsi à la confection des instruments qui nous permettent de savoir ce que nous savons. L'histoire de la représentation visuelle apparaît alors intimement liée au jeu subtil et partiellement contraint des formes par lesquelles nous tentons de donner sens aux choses. Pour Martin Kemp, l'histoire des représentations visuelles semble inséparable de l'histoire des connaissances, au point même que parfois les deux[...]
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Écrit par
- Francesco PANESE : professeur d'études sociales des sciences et de la médecine à l'université de Lausanne, directeur de la fondation Claude-Verdan, musée de la Main, Lausanne
Classification
Autres références
-
THE SCIENCE OF ART, Martin Kemp
- Écrit par François-René MARTIN
- 1 225 mots
Depuis les travaux de Panofsky sur la naissance de la perspective linéaire à la Renaissance, ou sur le versant théorique de l'imaginaire artistique d'Albrecht Dürer, l'histoire de l'art mesure mieux l'importance des relations entre la science et l'art. L'affinité qui a pu exister entre...