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MAINE DE BIRAN (1766-1824)

Un projet « prépositiviste »

Maine de Biran a beaucoup écrit. Mais il a peu publié : un seul livre, Influence de l'habitude sur la faculté de penser (1802), puis un petit ouvrage de cent vingt pages, Examen des leçons de philosophie de M. Laromiguière (1817) et, en 1819, l'article « Leibniz » pour la Biographie universelle de J. et L. C. Michaud. Cela représente un tome et demi dans les quatorze de l'édition Tisserand qui, pourtant, est loin de reproduire tous les manuscrits actuellement conservés. Biran a passé sa vie à écrire le même livre qu'en définitive il n'a pas écrit.

Les historiens du xviiie siècle littéraire ont créé l'étiquette « préromantisme » ; parallèlement, ceux de la philosophie pourraient appeler « prépositivisme » une mentalité dont les évidences fondamentales sont les suivantes :

– il n'y a point d'idées innées : rien n'entre dans l'esprit si ce n'est par les sens ; les opérations les plus complexes s'expliquent par des transformations et des combinaisons de sensations ;

– la connaissance ne porte que sur les phénomènes, sur les choses telles qu'elles apparaissent : notre entendement n'atteint ni les substances ni les causes ; expliquer consiste à établir des lois par une méthode strictement expérimentale ;

– la science est agnostique : le physicien ne s'occupe plus de la substance matérielle, ni le physiologiste de la substance vitale ; de même, l'âme et Dieu sont des notions inaccessibles : la métaphysique perd son objet ;

– le tour de l'homme arrive : la tâche du temps présent est de fonder la science de l'homme moral et social, de sorte que l'éthique et la politique seront à cette science ce que sont l'hygiène et la médecine par rapport à la biologie.

Tel est le point de départ de Maine de Biran. Dans cette promesse prépositiviste d'un art de vivre scientifiquement fondé, sa culture humaniste l'invite à reconnaître l'idéal de la sagesse antique. Les stoïciens lui ont appris que le bonheur est dans la maîtrise de soi, dans l'empire de la raison sur les appétits et les passions ; comme Pascal, il pense qu'ils ont bien vu la fin, mais sans se préoccuper des moyens ; toutefois, ce que Pascal attendait de la grâce de Dieu, Biran va le demander à la science de l'homme. Le projet prend forme dans la retraite de Grateloup au temps de la Terreur : il sera celui de toute une vie.

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à la Sorbonne, membre de l'Académie française et de l'Académie des sciences morales et politiques

Classification

Pour citer cet article

Henri GOUHIER. MAINE DE BIRAN (1766-1824) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • AMIEL HENRI-FRÉDÉRIC (1821-1881)

    • Écrit par Pierre PACHET
    • 2 445 mots
    ...Journal, ce sont des mémoires ; pour Goethe ou Baader, ce sont des carnets d'étude ; pour Lavater, c'est un confessionnal et un oratoire. » Le Journal de Maine de Biran lui est recommandé en 1857 par Ernest Naville, son prédécesseur à la chaire d'histoire de la philosophie, qui en avait publié une partie...
  • CARTÉSIANISME

    • Écrit par Pierre GUENANCIA
    • 1 862 mots
    ...ontologique, le caractère intellectuel de l'idée, etc.), un philosophe français lié aux idéologues et lecteur attentif des écrits médicaux de son époque, Maine de Biran (1766-1824), reconnaît dans le cogito cartésien la formulation abstraite de ce qu'il considère comme le fait primitif, découvert par le...
  • CORPS (notions de base)

    • Écrit par Philippe GRANAROLO
    • 3 102 mots
    ...par Emmanuel Kant (1724-1804). Une montre ne se répare pas elle-même comme en sont capables les corps, elle ne se reproduit pas. Au siècle suivant, Pierre Maine de Biran (1766-1824) poursuit cette critique en se livrant à une relecture originale de Descartes. « Je pense » signifierait en réalité «...
  • MORT - Les interrogations philosophiques

    • Écrit par René HABACHI
    • 7 550 mots
    Au xixe siècle, le réalisme de la position aristotélicienne réapparaît par de nouvelles voies. Maine de Biran, parti du sensualisme de Condillac, est amené, par fidélité à son expérience vécue, à affirmer l'existence du moi comme une « force hyperorganique » manifestée par le sens...

Voir aussi