LIVRET, musique
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Les compositeurs librettistes
« L'efficacité d'un opéra est d'abord celle de son livret, laissant à la musique la tâche de développer les arrière-plans ou les arrière-mondes que le texte comprend en lui », déclarait Hugues Dufourt à propos de son opéra Dédale (1995).
Les étapes marquantes de l'histoire de l'opéra, qui est celle des relations parfois conflictuelles entre les paroles et la musique, se placent en effet sur le plan littéraire plus que sur le plan musical.
Les plus grands compositeurs lyriques, à l'exception peut-être de Rameau, ont tous été convaincus de la dimension poétique et dramatique de leur art. La plupart l'ont manifesté en collaborant régulièrement avec certains auteurs et, souvent, en intervenant directement auprès d'eux. Ainsi Richard Strauss travailla avec un véritable écrivain-poète, Hugo von Hofmannsthal, ne craignant pas de lui donner des conseils littéraires. Déjà Mozart n'hésitait pas à intervenir sur le texte de Giovanni Battista Varesco, le librettiste d'Idomeneo. La « maniaquerie » avec laquelle il a suivi l'élaboration des livrets sur lesquels il composait, et les relations de travail quasi fusionnelles qu'il a entretenues avec Boito, lui-même librettiste et compositeur, placent également Verdi au tout premier plan dans ce cas de figure.
Certains ont manifesté leur exigence poétique en portant leur choix sur l'œuvre d'écrivains majeurs : Shakespeare, Racine, Milton, Schiller, Büchner, Kafka ou Jean Genet. Il leur est même arrivé de suivre strictement le texte qu'ils avaient retenu, comme Monteverdi, créateur du genre lyrique, qui ne changea pas un mot du Tasse dans Le Combat de Tancrède et de Clorinde (Il Combattimento di Tancredi e Clorinda, 1624 ou 1625), ou bien encore Debussy, qui reprit la prose de Maeterlinck pour Pelléas et Mélisande (1902). D'autres, en particulier depuis le début du xxe siècle, s'adressent comme librettistes à de véritables artistes du verbe : Hofmannsthal puis Stefan Zweig pour Richard Strauss, Michel Butor pour Henri Pousseur, Bernard Noël pour Ahmed Essyad, etc. D'autres enfin écrivent eux-mêmes leurs livrets.
Quand et où ?
Au xviiie siècle, déjà, mais de manière très ponctuelle, certains musiciens dramatiques ont écrit eux-mêmes leurs textes, tel l'Anglais Charles Dibdin (1745-1814). Jean-Jacques Rousseau, précurseur d'un « renversement » des sensibilités et des pensées esthétiques, apparaît ici comme un modèle, lui qui fait de la musique « l'origine des langues ». Paradoxalement, Ernst Theodor Amadeus Hoffmann, qui affirmait qu'« un véritable opéra ne saurait être [...] qu'une œuvre où la musique naîtrait directement du texte, dont il serait le nécessaire prolongement », n'écrivit pas lui-même les livrets d'Aurora (composé en 1811-1812) ou d'Undine (composé en 1813-1814). C'est le romantisme allemand qui marque le véritable avènement de ce type d'œuvres et en confirme le sens : la valorisation poétique de la musique, d'une part, la glorification de l'individu-créateur, d'autre part.
Ce mouvement, amorcé par Albert Lortzing qui, de 1824 à 1851, produit les livrets de tous ses singspiels, puis relayé par Robert Schumann, en 1847, adaptant lui-même pour Genoveva le poème que Friedrich Hebbel avait composé sur la légende de Geneviève de Brabant, trouve son archétype avec Wagner, démiurge d'une œuvre d'art total. Il touche également la France et d'abord Berlioz (Les Troyens, composés entre 1856 et 1858 ; Béatrice et Bénédict, 1862) ; la Russie et tous les compositeurs du nouvel opéra national : Borodine (Le Prince Igor, composé en 1869 mais créé en 1890), Moussorgski (Boris Godounov, créé en 1874), Tchaïkovski (qui est l'artisan unique d'Opritchnik, créé en 1874, avant de collaborer à l'écriture d'Eugène Onéguine, créé en 1879), Rimski-Korsakov, etc. L'Italie elle-même, la « vieille » nation de l'opéra, est atteinte à son tour avec le courant réformateur du vérisme et plus particulièrement Leoncavallo (Pagliacci, 1892). À la fin du xixe siècle, on affirme souvent son « wagnérisme » en écrivant soi-même le texte d'œuvres inspirées de légendes, comme le font Vincent d'Indy (Fervaal, 1897 ; La Légende de saint Christophe, 1920) ou Augusta H [...]
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Écrit par :
- Jean-Michel BRÈQUE : agrégé des lettres, collaborateur de la revue Avant-Scène Opéra
- Elizabeth GIULIANI : conservateur général à la Bibliothèque nationale de France
- Jean-Paul HOLSTEIN : compositeur de musique, professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, lauréat de la Fondation de la vocation en 1969, directeur du Conservatoire municipal du XVIIe arrondissement de Paris
- Danielle PORTE : maître de conférences à l'université de Paris-IV Sorbonne
- Gilles de VAN : professeur émérite à l'université de Paris-III
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Voir aussi
Pour citer l’article
Jean-Michel BRÈQUE, Elizabeth GIULIANI, Jean-Paul HOLSTEIN, Danielle PORTE, Gilles de VAN, « LIVRET, musique », Encyclopædia Universalis [en ligne], consulté le 02 juillet 2022. URL : https://www.universalis.fr/encyclopedie/livret-musique/