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LIVRET, musique

Le compositeur et le « poète »

L'opéra étant par définition du théâtre – lyrique –, il n'est pas d'opéra sans scénario ou livret, qu'il s'agisse d'une pièce de théâtre préexistante, adaptée ou pas, ou d'un livret original. Un musicien n'ayant pas d'ordinaire les talents d'un dramaturge, il recourt le plus souvent à la collaboration d'un librettiste, encore que nombre de compositeurs, et non des moindres, aient été leurs propres librettistes. Ces collaborateurs sont des hommes de lettres dont l'envergure peut être infiniment variable : parfois d'authentiques poètes (ainsi Striggio ou Busenello, les librettistes de Monteverdi), ou des écrivains éminents (Hofmannsthal), plus fréquemment des auteurs dramatiques d'une notoriété modeste, ce qui n'est pas en soi un obstacle : il n'est pas nécessaire d'être un grand écrivain pour être un bon librettiste, la première vertu d'un livret n'étant pas la qualité littéraire, mais sa capacité à porter la musique, sinon même à la faire naître !

Réhabiter la parole

On constate en effet que les dons des compositeurs d'opéra ne s'épanouissent, le plus souvent, que par la médiation des librettistes. Mozart, à y bien regarder, est devenu pleinement lui-même grâce à Da Ponte. Le propre de ces auxiliaires est donc moins d'avoir du génie que de le faire naître chez ceux avec qui ils collaborent. On sait que ces derniers se montrent volontiers tyranniques à leur égard, les obligeant à remettre cent fois leur ouvrage sur le métier. C'est là moins une preuve d'autorité qu'un aveu de faiblesse, le signe d'une difficulté à cerner sa pensée musicale, à savoir exactement ce que l'on veut, le librettiste étant sommé en fait de le deviner.

Nous avons tendance aujourd'hui à situer le librettiste très au-dessous du compositeur. Rappelons que ce n'a pas toujours été le cas. Sous l'Ancien Régime, l'auteur du « poème d'opéra » est un personnage illustre, sinon l'auteur principal de l'œuvre, puisqu'on dit alors : « le Don Giovanni de Da Ponte, avec musique de W. A. Mozart ». Métastase (1698-1782), le poète impérial de la cour de Vienne, aux livrets sans cesse remis en musique tout au long du xviiie siècle, a connu une telle célébrité que Stendhal lui consacrait une biographie en 1814. Mais on ne s'étonnera pas que le compositeur, de son côté, tienne à affirmer sa suprématie. Alors, prima la musica, ou prima la parola ? C'était là, dès 1786, le sujet d'un opéra d'Antonio Salieri, Prima la musica e poi le parole, c'est encore celui du merveilleuxCapriccio, le dernier opéra de Richard Strauss (1942), dont le scénario allégorique pose admirablement le problème de la préséance du texte ou de la musique. Question vieille comme l'opéra, puisque concernant l'essence même du genre. Et querelle inévitable, bien que vaine, qui explique que les rapports des compositeurs et des librettistes aient presque toujours été conflictuels.

L'attitude de l'auteur du livret se révoltant contre la dictature du musicien peut se comprendre. Nombre de compositeurs sont incapables de concevoir un sujet, d'imaginer une histoire, une suite de situations. Et il n'est pas si facile de transformer une pièce de théâtre en livret, de réduire un volume à quelques pages entièrement dialoguées où airs, duos, chœurs sont distribués avec pertinence. « Le Roi s'amuse a trouvé sa véritable forme dans Rigoletto », a pu écrire Michel Butor. C'est dire que le resserrement dramatique effectué par Francesco Maria Piave sur la pièce de Hugo a permis à Verdi d'écrire un chef-d'œuvre, lequel a éclipsé son prétexte littéraire.

Le livret n'est donc pas de la sous-littérature. Il ne doit[...]

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Écrit par

  • : agrégé des lettres, collaborateur de la revue Avant-Scène Opéra
  • : conservateur général à la Bibliothèque nationale de France
  • : compositeur de musique, professeur au Conservatoire national supérieur de musique de Paris, lauréat de la Fondation de la vocation en 1969, directeur du Conservatoire municipal du XVIIe arrondissement de Paris
  • : maître de conférences à l'université de Paris-IV Sorbonne
  • : professeur émérite à l'université de Paris-III

Classification

Pour citer cet article

Jean-Michel BRÈQUE, Elizabeth GIULIANI, Jean-Paul HOLSTEIN, Danielle PORTE et Gilles de VAN. LIVRET, musique [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 07/04/2009

Autres références

  • AUTRICHE

    • Écrit par , , , , , et
    • 34 125 mots
    • 21 médias
    À la fin du siècle, Joseph Anton Stranitzky (1676 env.-1725) commence à démarquer en allemand des livrets d'opéra et des drames héroïques ; il y insère des scènes grotesques, où il paraît lui-même sous le masque de Hanswurst pour ironiser sur les grands sentiments et les discours des personnages...
  • BEAUMARCHAIS PIERRE-AUGUSTIN CARON DE (1732-1799)

    • Écrit par
    • 4 172 mots
    • 1 média
    ...pourtant une rhétorique d'époque ou des vers de mirliton. Tarare n'est pas seulement intéressant par la qualité dramatique (assez rare en 1787) de son livret, mais aussi par l'équilibre obtenu entre drame et musique grâce à une collaboration étroite entre Beaumarchais et Salieri. Ce n'est certes pas...
  • BOITO ARRIGO (1842-1918)

    • Écrit par
    • 175 mots
    • 1 média

    Maître de chapelle et compositeur, son principal mérite n'est pas là : mais, poète de surcroît, Boito a fourni à Verdi plusieurs livrets. Homme de lettres, journaliste combatif, garibaldien, sénateur, il fut un ardent défenseur de Wagner. Il apporta, par sa culture, une collaboration précieuse à...

  • CAVALLI PIER FRANCESCO (1602-1676)

    • Écrit par
    • 1 710 mots
    Les opéras de Cavalli se distinguent tout d'abord par la qualité de leurs livrets. Les meilleurs librettistes vénitiens collaborèrent avec lui, en particulier Giovanni Francesco Busenello (trois fois), Nicolò Minato (sept fois), Giovanni Faustini (onze fois). Ces auteurs affectionnent les intrigues complexes...
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