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LÉGER FERNAND (1881-1955)

Une moderne Arcadie

Au cours des années 1930, le thème du sport, et de l'exercice physique en général, est le sujet de plusieurs œuvres de Léger, qui projette à travers elles la vision optimiste d'un âge de santé et de libération du corps. Dans Composition aux deux perroquets (1935-1939) comme dans Adam et Ève (1935-1939), les athlètes de Léger habitent un paradis terrestre. L'épanouissement de l'aspect le plus détaché et le plus aérien de son art se poursuit dans la série des Plongeurs (1941-1944), voluptueuse apothéose de corps en grappes, tournoyant dans des compositions centrifuges où les repères spatiaux traditionnels (haut et bas, droite et gauche) sont devenus réversibles. Peints au cours de son exil américain (1940-1946), ces corps en lévitation, défiant toute gravité, ne pourraient être plus éloignés du tragique contemporain. Particulièrement prolifique, la période américaine de Léger apparaît rétrospectivement comme une des époques les plus heureuses de sa création : il se lance dans une série de paysages qui mêlent avec un évident bonheur d'invention grosses racines et fleurs stylisées, fragments d'outils agricoles et nuages arrondis (La Forêt, 1942) ; il met aussi au point le système de la « couleur en dehors », inspiré de la publicité lumineuse des villes américaines, où des bandes colorées indépendantes du motif renforcent les pouvoirs expressifs et dynamiques des teintes vives (Adieu New York, 1946).

En 1945, alors qu'il n'a pas encore accompli toutes les démarches nécessaires à son rapatriement, Léger transmet son adhésion au Parti communiste français. Il donne des gages de la sincérité de son engagement en participant à plusieurs initiatives des mouvements de gauche, comme au Congrès des intellectuels pour la paix qui se tient en Pologne, à Wrocław, en 1948. En 1950, il présente l'un de ses plus grands chefs-d'œuvre de l'après-guerre, Les Constructeurs, sur les cimaises de la Maison de la pensée française, soutenue par le parti communiste. En accompagnant son tableau d'un très grand nombre d'études et de travaux préparatoires, le peintre cherchait sans doute à suggérer que la création est elle aussi un labeur : « Je monte mon boulot étude par étude, pièce par pièce, comme on monte un moteur ou une maison. » C'est d'ailleurs à cette époque que l'on voit se renforcer dans la presse l'image de Léger en peintre-ouvrier. Suspendus à leur échafaudage contre un fond de ciel bleu parsemé de petits nuages, ses travailleurs ne constituent pourtant qu'une métaphore très idéalisée de la construction d'une société meilleure, sorte de Jérusalem céleste laïcisée, qui n'est visiblement pas encore de ce monde. Tout comme est parfaitement utopique l'Arcadie de travailleurs au repos que Léger met en scène dans sa suite magistrale sur les loisirs populaires, depuis l'Hommage à Louis David (1948-1949) jusqu'à La Partie de campagne (1954), en passant par Les Deux Cyclistes (1951) et Les Campeurs (1954), dont beaucoup de détails semblent appartenir aux souvenirs des congés payés de l'avant-guerre – si ce n'est aux parties de campagne des impressionnistes.

Ces derniers tableaux illustrent bien la nature de l'engagement du peintre, loin de toute héroïsation de la classe ouvrière comme de tout misérabilisme. Plus volontiers, il donne à l'utopie sociale le visage placide et joyeux d'une peinture qui ne craint pas de renouer avec la grande tradition bucolique. À la fin de sa vie (il meurt le 17 août 1955 à Gif-sur-Yvette), Léger avait rejoint cette pléiade de vieillards heureux, Matisse, Picasso, Bonnard, qui ont enchanté de leurs visions d'un impossible âge d'or la peinture d'après le désastre.

Voulu par Nadia Khodossiévitch, son ancienne assistante et son épouse[...]

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université de Grenoble-II-Pierre-Mendès-France

Classification

Pour citer cet article

Arnauld PIERRE. LÉGER FERNAND (1881-1955) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • FERNAND LÉGER (exposition)

    • Écrit par Hervé VANEL
    • 1 229 mots

    Une « belle machine » comme le Centre Georges-Pompidou était sans doute le cadre idéal d'une exposition consacrée au peintre Fernand Léger (1881-1955). C'est, du moins, ce qu'il ressortait de la rétrospective de son œuvre qui s'y est tenue du 19 mai au 29 septembre 1997, dont la scénographie...

  • ART (Aspects culturels) - L'objet culturel

    • Écrit par Jean-Louis FERRIER
    • 6 295 mots
    • 6 médias
    ...casse-cou, mi-bricoleurs, mi-illuminés, qui effectuent de grands bonds dans leurs « drôles de machines », au risque de se tuer. De manière analogue, si Léger est le peintre de la civilisation technicienne, il s'en faut de beaucoup qu'il ait travaillé dans un univers d'acier et de béton. La France où il...
  • BAUQUIER GEORGES (1910-1997)

    • Écrit par Hélène LASSALLE
    • 660 mots

    Le nom de Georges Bauquier est associé à l'œuvre de Fernand Léger. Mais il ne faut méconnaître ni sa carrière de peintre ni son engagement politique. Né en 1910 à Aigues-Mortes, il entre dans l'atelier de Léger en 1936 et il en devient le massier (le trésorier), sensible, comme Léger et certains...

  • CUBISME

    • Écrit par Georges T. NOSZLOPY, Paul-Louis RINUY
    • 8 450 mots
    ...l'atelier de Picasso, au Bateau-Lavoir, jouèrent un grand rôle dans la diffusion des découvertes cubistes. En 1910, Metzinger, Robert Delaunay, Gleizes, Léger et Le Fauconnier fondèrent le premier groupe d'artistes cubistes ; en étroit rapport avec l'avant-garde littéraire, ils se réunissaient tous les...
  • ORPHISME, mouvement artistique

    • Écrit par Marc LE BOT
    • 696 mots
    • 1 média

    Le terme d'orphisme a été proposé par Guillaume Apollinaire, lors de la publication de ses Méditations esthétiques en 1912, pour caractériser certains aspects de la peinture d'avant-garde. À cette date, cinq ans après Les Demoiselles d'Avignon, le cubisme apparaît à Apollinaire...

  • Afficher les 8 références

Voir aussi