Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LA COMÉDIE, Dante Alighieri Fiche de lecture

L'Amour, puissance première

On peut se demander si la puissance d'entraînement et d'émotion de La Comédie ne vient pas aussi du sentiment d'une lutte inégale contre les forces de destruction à l'œuvre dans l'histoire, dont Dante l'exilé, condamné à mort par contumace, avait l'exemple sous les yeux. Les années 1315-1317, en pleine ferveur de composition du grand œuvre, furent pour l'Europe des années de famine et de désastres, vécues dans l'imminence de la fin du monde. Non seulement Florence, déchirée par les factions, mais la Papauté et nombre d'États mal gouvernés donnaient une image désespérante de contradiction entre un ordre supérieur et le malheur terrestre, que les trois étapes du voyage dans l'au-delà pouvaient à grand peine expliquer, sinon résoudre. Omniprésents tout au long de l'œuvre, les destins individuels, avec leur lot d'injustices, de trahisons, de violences et de perte dans la mort ne paraissent pas davantage en harmonie avec l'idéal de concorde, de raison et d'unité du grand intellectuel, poète et philosophe engagé dans la vie publique, qu'il voulait rester malgré tout. La Comédie est ainsi, dans un monde « auberge de douleur », une tentative obstinée contre les terribles conditions des hommes de son temps et le découragement de tout être humain : « Là des soupirs, des pleurs, des plaintes stridentes/ résonnaient dans la nuit dépourvue d'étoiles ;/ Ce qui d'abord me fit verser des larmes./ Langues mélangées, horribles jargons,/ paroles de douleur, accents de colère,/ voix hautes et floues, et battements de mains/ faisaient un tumulte qui roule sans fin/ à travers cet air uniformément sombre,/ comme le sable dans les tourbillons. » (Enfer, III)

À cette douleur, à cette dissociation, il importe de répondre par une création totalement poétique, capable de rendre l'être à lui-même dans la parole qu'il se donne. Il semble y avoir là une nette ligne de démarcation avec la curiosité mondaine et dispersive d'un Brunetto Latini, ou le spectaculaire grotesque des divers « réalismes » comiques, aussi bien qu'avec l'autosuffisance des prédécesseurs et premiers amis de Dante, les troubadours mais aussi un Guittone d'Arezzo, voire Guido Cavalcanti lui-même (G. Contini). Seule compte en effet pour Dante la force de ce qui est à l'origine de l'écriture, cet « amour » – et nous dirions sans doute aujourd'hui désir – qui dicte ce que le poète saura signifier en formes (Purgatoire, XXIV), à condition de connaître son art. Aucun message ne serait transmis, tout aurait été inutile dans cet effort « non pour la spéculation mais pour l'action » vers la « félicité » (Lettre au vicaire impérial Cangrande), sans l'incarnation de la vérité dans un objet réel parfait, unifié par sa rhétorique et sa musique profondes : le texte poétique même.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Jean-Charles VEGLIANTE. LA COMÉDIE, Dante Alighieri - Fiche de lecture [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALLÉGORIE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 454 mots
    ...l'un aussi bien que l'autre : également réels, l'ancien et le nouveau, le passé et le présent, l'actuel et l'à-venir, le naturel et le surnaturel. Même siDante, dans La Divine Comédie (1304-1320), parle d'allégorie, Auerbach préfère employer figure, plus proche ici du « type » exégétique.
  • DANTE ALIGHIERI (1265-1321)

    • Écrit par Paul RENUCCI
    • 5 410 mots
    • 2 médias
    Nul ne met plus en doute que la Comédie à laquelle l'admiration de la postérité ajouta l'épithète « divine », et dont le titre définit, suivant les catégories littéraires d'alors, un style moins noble et soutenu que celui de la tragédie, dont le modèle est l'Énéide...
  • ÉPOPÉE, notion d'

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 1 627 mots
    ...c'est-à-dire bien après qu'a commencé de s'imposer, dans les différentes langues européennes, une littérature vernaculaire. À suivre les principes aristotéliciens , La Divine Comédie (1304-1320) de Dante ne semble pas digne d'être comparée à L'Iliade puisqu'elle ignore notamment la règle de l'unité...
  • MIMÉSIS, Erich Auerbach - Fiche de lecture

    • Écrit par François TRÉMOLIÈRES
    • 787 mots
    Reprenant des travaux plus anciens sur Dante, Auerbach montre que La Divine Comédie, au xive siècle, par le choix de la langue « vulgaire » (l'italien au lieu du latin), mais surtout par la mise en œuvre de la notion de figure (le rapport d'un événement présent à un autre événement, passé...

Voir aussi