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KĀLĪ

Divinité féminine dont le culte est prépondérant dans le nord-est de l'Inde (particulièrement au Bengale), l'emportant sur les nombreuses formes que prend la vénération de la Déesse dans l'hindouisme classique et contemporain. Représentée sous la forme d'une femme de couleur noire, entièrement nue, Kālī semble danser sur un cadavre humain qu'elle écrase de ses pieds ; ses nombreux bras brandissent des armes et des têtes coupées (souvent une seule, détachée du cadavre que Kālī foule aux pieds). Son visage est horrible à voir ; grimaçante, la Déesse découvre des dents acérées ; et sa langue pend, ensanglantée ; elle porte autour du cou un collier fait de crânes, et l'on dit que le cadre de sa danse est le champ crématoire, lieu impur par excellence du point de vue du brahmanisme orthodoxe. Le même caractère d'impureté rituelle apparaît dans le type d'offrandes que son culte requiert : des animaux sont immolés devant son image (des chèvres, le plus souvent), on asperge de sang sa statue et ses dévots.

Des traits de cette nature ont fait penser qu'il s'agissait là d'une déesse non aryenne artificiellement intégrée dans l'hindouisme ; on a dit aussi que Kālī était une divinité tutélaire des plus basses castes, ou encore qu'elle était l'expression mythologique d'une forme particulière de religion « propre aux seules femmes ». En fait, l'hindouisme le plus ancien a connu un culte de la divinité sous sa forme « terrible » : dans le Veda déjà, on cherchait à se rendre propice une déesse de la Destruction, Nirriti (nirrti), et l'on chantait les louanges du dieu Rudra. Plus tard, dans l'hindouisme proprement dit (à partir du ~ vie s.), Shiva hérita des caractéristiques propres à Rudra et son épouse (sous de nombreux noms : Pārvatī, Durgā, etc.), de celles de Nirriti ainsi que d'autres divinités féminines (par exemple, Rātrī, la « Nuit »). De plus, le nom de Kālī apparaît en sanskrit comme une forme féminine de Kāla, le Temps, auquel l'Atharva-Veda dédie plusieurs hymnes (ce qui fait penser au culte de Zurvan, en Iran).

Tout cela autorise les théologiens brahmaniques (surtout tantriques) à célébrer en Kālī la toute-puissance du temps destructeur, la nuit cosmique (« nuit des temps »), la mort (ainsi s'expliquent ces attributs sinistres, le cadavre, les crânes). Ils font également remarquer que deux des mains de la déesse font des gestes bénéfiques (l'un symbolise l'apaisement, l'autre le don), signe que par-delà sa cruauté apparente (le temps qui détruit tout, la mort et son cortège sanglant et macabre) se manifeste la grâce rédemptrice de la déesse : de la nuit cosmique surgit inéluctablement (selon la loi de succession des cycles) un autre univers qui débute par un âge d'or ; de la même façon, la mort est une délivrance pour le fidèle qui quitte cette « vallée de larmes » pour gagner le paradis de Śiva.

Il est certain, en tout cas, que les dévots de Kālī la célèbrent avec lyrisme : les chants religieux du Bengale sont parmi les plus beaux de l'Inde moderne ; Kālī y est appelée « mère », et la mystique qu'elle inspire a été diffusée, à partir de Calcutta, dans l'Inde entière. On sait, par exemple, que Rāmakṛishṇa était un dévot de Kālī, en qui il voyait la toute-puissance divine à l'œuvre dans le monde.

— Jean VARENNE

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Écrit par

  • : docteur ès lettres, professeur à l'université de Lyon-III

Classification

Pour citer cet article

Jean VARENNE. KĀLĪ [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • BENGALI LITTÉRATURE

    • Écrit par France BHATTACHARYA, Jharna BOSE
    • 5 132 mots
    • 1 média
    Le culte de Kālī, la déesse terrible, très répandu au Bengale, mais adouci par le vaishnavisme, inspire le plus grand auteur de chants du xviiie siècle, Rāmprasād Sen, dont les œuvres sont encore chantées de nos jours. Shiva devient un personnage typiquement bengali, rustique, et même comique :...
  • DĪVĀLĪ ou FÊTE DES LUMIÈRES

    • Écrit par Universalis
    • 462 mots
    • 1 média

    La fête des lumières, Dīvalī (du sanskrit dīpavali, « rangée de lumières »), est l’une des plus importantes dans la religion hindoue. Les jaïna et les sikhs l’ont aussi reprise à leur propre compte. La fête dure cinq jours, du treizième jour de la quinzaine sombre du mois d’āśvina...

  • INDE (Arts et culture) - Les sciences

    • Écrit par Francis ZIMMERMANN
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    ...partir des observations astronomiques disponibles au temps d'Āryabhaṭa, par calcul rétrospectif, se réduisent à celle du Kaliyuga, le début de l'âge Kali, daté du 18 février 3102 avant J.-C. Les canons d'Āryabhaṭa posent à ce moment une conjonction générale des Soleil, Lune, planètes en longitude moyenne...
  • MYTHOLOGIES - Dieux et déesses

    • Écrit par Mircea ELIADE
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    ...apparemment contradictoires. Sous le nom de Kumārī, elle est une jeune fille ; en tant que Pārvatī, elle est la chaste épouse de Śiva ; sous la forme de Kālī, elle est horrible et terrifiante ; son corps squelettique est couvert d'une peau de tigre ; elle tient dans les mains une épée, un bâton et un lacet,...
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Voir aussi