Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LOSEY JOSEPH (1909-1984)

Le monde comme labyrinthe

Si l'on devait obligatoirement résumer le cinéma de Losey, il faudrait insister sur son caractère essentiellement cérébral ; le cinéaste réussit en effet le tour de force d'inclure, sans effort dans les meilleurs films, certaines émotions et même certaines appréhensions tout à fait concrètes du monde qui nous entoure. Mais cette inclusion ne relève pas d'un appel à la sympathie : elle va tout simplement de soi et maintient la distance irrémédiable qui sépare le créateur de sa création, voire le spectateur du spectacle.

À une exception près (Modesty Blaise, « divertissement » qui est le seul film d'où son auteur semble totalement absent), les mises en scène de Losey relèvent du « sérieux » : des sujets ou des scénarios ambitieux y sont traités par un homme pour qui les idées générales existent, et qui a d'ailleurs lié sa destinée à un certain respect de soi-même, inséparable de ces idées. Cela ne signifie pas pour autant qu'il s'attache à démontrer des thèses, à plaider des causes ou à suggérer des solutions (malgré sa bonne connaissance de la psychanalyse) : comme pour tous les grands cinéastes américains, l'important est pour lui le conflit de caractères. Aussi son goût des idées ne se satisfait-il ni d'un exposé abstrait ou schématique, ni même d'une démonstration distanciée : il doit à Brecht plutôt des éléments de méthode qu'un principe général ; si une fausse impassibilité se fait jour dans King and Country (et, peut-être, dans la fin de The Big Night, film d'apprentissage), c'est parce que l'excès d'émotion risquerait de paralyser le regard. Tout critique qu'il soit, le cinéma de Losey n'est toutefois jamais seulement critique.

Le tournage de M. Klein se termina en pleine accélération de verve créatrice, Losey, plus que sexagénaire, abrégeant le plan de tournage et simplifiant les problèmes : cela a donné l'un de ses films les plus achevés. Pour Losey le travail est aussi indispensable que la respiration et en cela il s'apparente curieusement aux « derniers primitifs », comme Raoul Walsh, son pessimisme foncier trouvant ainsi un contrepoids. Longtemps hanté par le masochisme (Gipsy, Eva, The Servant, Secret Ceremony..., et bien des détails dans des films plus récents), il donne l'impression de ne parler (passé sa période « américaine ») que d'échecs ou de déchéances. Mais outre que le goût du bonheur, évident dans The Boy with Green Hair et Lawless, dénaturé mais certain chez l'ambitieux de The Prowler, n'est pas absent, fût-il fugitif de son œuvre ultérieure (comme dans Blind Date, dans The Criminal, ou dans Accident), le renvoyer à l'existentialisme sartrien serait un contresens. Aucun de ses héros ne peut être directement identifié au cinéaste. Certaines des figures qu'il agite sont en proie à la honte et au doute sur leur identité profonde ; certaines seulement : en règle générale, le héros de Losey est mû par l'ambition ou le désir de connaître. Il doit fréquemment assumer un parcours comportant une effraction : celle-ci peut le réconcilier avec lui-même (The Big Night), l'amener à sa perte (Eva et aussi M. Klein) ou à une perte qui se révèle être un triomphe (Michael Redgrave dans Time without Pity). La découverte peut se révéler inutile (Accident) ou laisser une blessure inguérissable (The Go-Between) ou encore entraîner une catastrophe pour autrui (The Servant, Secret Ceremony, Boom !).

Si Losey tient pour capitale la phrase de Brecht : « Un homme ne peut pas ne pas avoir vu ce qu'il a vu », ce n'est pas seulement pour des raisons idéologiques. Sa démarche créatrice a totalement dépouillé, dans ses derniers films, ce qu'elle avait eu parfois de systématique dans les premières expériences après l'exil. C'est matériellement[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

Classification

Pour citer cet article

Gérard LEGRAND. LOSEY JOSEPH (1909-1984) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Cérémonie secrète, J. Losey - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Cérémonie secrète, J. Losey

<it>Galilée</it> - crédits : Keystone/ Hulton Archive/ Getty Images

Galilée

Autres références

  • THE SERVANT, film de Joseph Losey

    • Écrit par Laurent JULLIER
    • 906 mots

    Joseph Losey (1909-1984) commença sa carrière dans le théâtre américain « progressiste » des années 1930, et apprit le cinéma par le biais des films éducatifs. Son premier court-métrage de fiction, A Gun in His Hand (1945), décrocha une nomination aux Oscars, mais Hollywood se méfiait....

  • BOGARDE DIRK (1921-1999)

    • Écrit par Alain GAREL
    • 867 mots

    À l'exception de quelques-uns, dont Hunted (Rapt) de Charles Crichton (1951) et Victim (Victime) de Basil Dearden (1961), les films auxquels Dirk Bogarde a participé entre 1947 et 1962 sont, au pire, mauvais, au mieux, médiocres. Contraint à interpréter des jeunes premiers romantiques, des délinquants...

  • CINÉMA ET OPÉRA

    • Écrit par Jean-Christophe FERRARI
    • 3 248 mots
    • 7 médias
    ...encourager à prolonger à la maison l'expérience vécue en salle. En 1979 donc, toutes les conditions se trouvent réunies pour que Toscan du Plantier confie à Joseph Losey l'adaptation de Don Giovanni de Mozart. L'ambition de Losey va plus loin encore que celle de Bergman : « Créer une nouvelle forme, un...
  • LA VIE DE GALILÉE (mise en scène C. Stavisky)

    • Écrit par Jean CHOLLET
    • 805 mots
    • 1 média

    Lorsqu’il achève la première version de La Vie de Galiléeen 1939, au Danemark, Bertolt Brecht a quitté depuis six ans l’Allemagne, tombée sous l’emprise d’Adolf Hitler et du régime nazi. C’est le début d’un long périple qui le conduira ensuite de la Finlande aux États-Unis en 1941. La pièce,...

  • REDGRAVE MICHAEL (1908-1985)

    • Écrit par André-Charles COHEN
    • 774 mots

    À l'instar des grands comédiens britanniques de sa génération ou de ceux qui furent quelque peu plus âgés que lui – Laurence Olivier, Ralph Richardson, John Gielgud –, Michael Redgrave se sera ingénié à exprimer sur les scènes londoniennes l'intériorité de personnages démesurés et à extirper...

Voir aussi