Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

RENOIR JEAN

Le « petit théâtre » de Jean Renoir

Le premier succès public de Renoir est La Chienne, d'après Georges de La Fouchardière, une fable aux apparences naturalistes qui se déroule dans les rues de Montmartre dont tout le monde prévoyait l'échec en raison de sa noirceur. Le metteur en scène ira plus loin dans le réalisme avec Boudu sauvé des eaux, en filmant son héros, le clochard Boudu, mêlé aux passants des quais de la Seine. Mais ces deux films sont précédés d'un prologue théâtral, Guignol pour le premier, scène mythologique pour le second, qui introduisent la dimension de la « représentation », et soulignent les liens complexes qui existent entre le théâtre et la vie. Dans La Chienne, un petit-bourgeois, peintre, croit à l'amour idéal d'une prostituée cynique. Celle-ci ne pressent pas sa folie meurtrière, tandis que son souteneur qui croit tirer les ficelles finira sur l'échafaud. Dans Boudu, le libraire Lestingois croit pouvoir façonner la personnalité d'un clochard marginal en fonction des critères d'une culture humaniste qui lui sert aussi à séduire sa jeune bonne. Lorsqu'il adapte Madame Bovary (1933), Renoir utilise des acteurs venus du théâtre : son frère Pierre, Valentine Tessier... Pour lui, Emma est éternellement actrice, ce que soulignent les « cadres dans le cadre » de l'image, portes ou fenêtres, motifs formels constants de son œuvre. « Où s'arrête la vie ? Où commence le théâtre ? », demandera à nouveau Camilla dans Le Carrosse d'or (1952). En ce sens, tout film de Renoir est un « petit théâtre ». Mais c'est surtout à l'intérieur de chaque personnage que se joue la représentation, tout autant moteur de la vie que vecteur du tragique ou du grotesque.

Cette illusion est particulièrement perceptible dans la description des relations amoureuses, oscillant entre idéalisation et refus de la vérité du désir. Dans Toni, l'immigré italien et catholique, marqué par une culture patriarcale, se laisse ravir Josepha, qu'il voudrait vierge, tandis qu'Albert, intégré et cynique, se contente de voir en elle seulement un objet de plaisir et d'échange commercial. Nostalgie et tristesse baignent Partie de campagne, après un moment d'égarement sous l'effet des forces obscures de la nature, qui amènent la mère et sa fille Henriette à se laisser séduire par deux canotiers. Ces sentiments tiennent à cette répression du plaisir par une société petite-bourgeoise, dominée par les lois de la rentabilité, représentée par le quincaillier flanqué de son commis et futur gendre.

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux Cahiers du cinéma

Classification

Pour citer cet article

Joël MAGNY. RENOIR JEAN [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

<it>La Grande Illusion</it>, de Jean Renoir - crédits : Collection privée

La Grande Illusion, de Jean Renoir

<em>La Marseillaise</em>, film de Jean Renoir - crédits : Société de Production et d'Exploitation du Film La Marseillaise/ Album/ AKG-images

La Marseillaise, film de Jean Renoir

Autres références

  • LA RÈGLE DU JEU, film de Jean Renoir

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 1 001 mots

    Une affaire de rendez-vous manqué : entre la marquise et son bel aviateur, entre la contrainte sociale et la liberté amoureuse, entre le film et son public. Ce n'est pas la faute de Renoir (1894-1979), et l'on peut bien penser, avec Truffaut, qu'« aucun autre cinéaste n'a mis autant, et le meilleur...

  • LA RÈGLE DU JEU (J. Renoir), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 213 mots

    Après les succès de La Bête humaine (1938) et surtout de La Grande Illusion (1937), Jean Renoir (1894-1979) est au sommet de sa popularité. Compagnon de route du Parti communiste, il est déçu par le Front populaire et convaincu, après les accords de Munich, qu'une nouvelle guerre est inévitable....

  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    « Ceux qui nous ont précédés avaient bien de la veine, dira Jean Renoir en 1948 : pellicule orthochromatique interdisant toute nuance et forçant l'opérateur le plus timide à accepter des contrastes violents ; pas de son, ce qui amenait l'acteur le moins imaginatif et le metteur en...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Mise en scène

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 4 776 mots
    • 10 médias
    ...années 1930, avait élaboré une méthode qui laissait une grande place aux aléas du tournage. Au lieu de recréer de toutes pièces un univers imaginaire, retrouvant les principes de Lumière, il faisait confiance à la réalité, dont il acceptait qu'elle vienne, sinon modifier radicalement, du moins enrichir...
  • ELLE (P. Verhoeven)

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 1 003 mots
    • 1 média
    ...victime, c’est son refus de porter plainte qui les choque plus que l’agression. Paul Verhoeven cite, à propos du film, la phrase célèbre prononcée par Jean Renoir (Octave) dans La Règle du jeu : « Parce que, tu comprends, sur cette Terre, il y a une chose effroyable, c’est que tout le monde a ses raisons....
  • FRANCE (Arts et culture) - Le cinéma

    • Écrit par Jean-Pierre JEANCOLAS, René PRÉDAL
    • 11 105 mots
    • 7 médias
    En 1938, Jean Renoir a paru s'approcher au plus près du réalisme poétique avec La Bête humaine, d'après Zola. C'était une convergence de circonstances. Entre 1936 et 1939, Renoir atteint le sommet de sa carrière, avec Une partie de campagne, un bouleversant poème d'amour tourné dans...
  • Afficher les 11 références

Voir aussi