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JAURÈS JEAN (1859-1914)

Une dimension internationale

Pour assumer ces responsabilités, Jaurès ne voit que l'Internationale. Certes elle n'a pas à dicter leur conduite aux partis nationaux, mais à ses yeux elle est plus qu'un club de discussion, « une force intermittente et superficielle ». Il lui faut mobiliser l'opinion publique et proposer des règles, des moyens d'action. Seule, en effet, pense-t-il, la classe ouvrière, internationalement organisée, peut mettre un terme au processus de dégradation dont l'histoire contemporaine porte témoignage. Que les militaires, au Maroc, fassent haïr le nom de la France, que les radicaux attachés au monde des affaires laissent s'opérer le rapt d'immenses terres en Tunisie, ou maintiennent au Vietnam des monopoles écrasants pour les indigènes, que les civilisations les plus belles en Asie, en Afrique soient ignorées, voire méprisées par ceux qui devraient être les porteurs de l'universalisme du xviiie siècle, Jaurès s'en désespère, mais considère tous ces problèmes comme internationaux.

« Le capitalisme porte en lui la guerre comme la nuée porte l'orage » ; la guerre peut jaillir des gouffres coloniaux, la politique des blocs peut déboucher sur le massacre, la pratique de l'arbitrage peut échouer. Nul, jusqu'à la fin de 1912 au moins, jusqu'au congrès de Bâle, et sans doute jusqu'en 1914, n'a vécu aussi dramatiquement l'approche de la guerre, et c'est du côté du mouvement ouvrier qu'il a cherché l'appui décisif. De congrès en congrès, auprès du Bureau socialiste international dans l'intervalle, il tente d'obtenir de l'Internationale le vote de motions précisant les moyens à employer pour empêcher la guerre. L'opposition de la social-démocratie allemande fait échouer au congrès de Stuttgart (1907), puis au congrès de Copenhague (1910) l'appel à la grève générale ouvrière contre la guerre. Jaurès savait bien d'ailleurs qu'il s'agissait d'une pédagogie à long terme plus que d'une pratique immédiatement efficace.

Il meurt en plein échec : la démocratie politique, loin de s'épanouir en démocratie sociale, s'est altérée en France, la colonisation est devenue une affaire Dreyfus permanente, les forces de paix ont été battues. Mais le socialisme a vécu unifié quelques brèves années, les sectes se sont désectarisées, l'action de masse s'est développée. On se réclame toujours de Jaurès.

Innombrables sont les questions qui se posent et qui portent moins sur les faits, encore mal connus pourtant, que sur l'interprétation qu'on en donne ou sur des intentions supposées. Par exemple, qu'eût fait Jaurès en août 1914 ? Sa mort au moment du choix décisif laisse planer finalement le mystère sur son orientation. Certains invoquent son profond patriotisme – si sensible dans son livre-testament, L'Armée nouvelle – et la confiance qu'il garda jusqu'à la fin dans les nations libérales pour conclure qu'il eût, sans aucun doute, rallié l'Union sacrée. D'autres soulignent la sévérité avec laquelle il jugeait depuis des années la politique de la France et de la Russie et son attachement presque pathétique à l'Internationale pour penser que la vague d'Union sacrée l'eût peut-être épargné, ou en tout cas, qu'il fût vite devenu « minoritaire ». Qu'eût-il fait enfin devant la Révolution russe ? Questions évidemment vaines, mais qui montrent l'influence qu'eut l'homme.

D'autre part, la grande amitié qui liait le jeune disciple qu'était Péguy au maître déjà mûr, Jaurès, débouche en quelques années, du côté de Péguy, sur la rupture et la haine, sur l'appel à l'échafaud. Conflit personnel et passionné : deux philosophies, deux tempéraments sont face à face. L'historien doit s'efforcer[...]

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Pour citer cet article

Madeleine REBÉRIOUX. JAURÈS JEAN (1859-1914) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Jean Jaurès - crédits : Manuel/ Hulton Archive/ Getty Images

Jean Jaurès

Autres références

  • COLONIALISME & ANTICOLONIALISME

    • Écrit par Jean BRUHAT
    • 6 503 mots
    • 2 médias
    .... Mais, dans la pratique politique, il y a beaucoup de fluctuations. Un socialiste allemand comme Edouard Bernstein justifie l'expansion coloniale. La position de Jaurès a très sensiblement évolué. Il considère d'abord comme un fait que « tous les peuples sont engagés dans la politique coloniale »....
  • DREYFUS (AFFAIRE)

    • Écrit par Vincent DUCLERT
    • 4 892 mots
    • 3 médias
    ...des gauches aux élections de 1902 rendirent possible une relance de l'événement. La troisième affaire Dreyfus éclata véritablement en avril 1903, lorsque Jean Jaurès exposa devant les députés le devoir moral et politique de faire toute la lumière et de parvenir à la réhabilitation du capitaine Dreyfus....
  • GUERRE MONDIALE (PREMIÈRE)

    • Écrit par Marc FERRO
    • 12 473 mots
    • 51 médias
    ...guerres [...], les trusts et les cartels étaient intéressés au maintien de la paix [...], comme la crise du Maroc, en 1911, en avait porté témoignage. En 1913, le Français Jean Jaurès et l'Allemand R. Hasse affirmaient : « La plus grande garantie pour le maintien de la paix repose dans les investissements...
  • MARXISME - Les révisions du marxisme

    • Écrit par Pierre BOURETZ, Evelyne PISIER
    • 3 663 mots
    • 1 média
    ...Kautsky illustre bien ce que sera le contenu d'un révisionnisme assimilé au socialisme démocratique, avec toutes ses ambiguïtés. De même, en France, Jean Jaurès et plus tard Léon Blum, figures emblématiques du révisionnisme social-démocrate, en resteront marqués chacun à sa manière. Ainsi Jaurès,...
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Voir aussi