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DOMAT JEAN (1625-1696)

Le restaurateur de la raison

Domat reste, comme le disait déjà Boileau, « le restaurateur de la raison dans la jurisprudence ». Son influence sur notre droit civil a été déterminante dans l'analyse de la volonté, la théorie de la cause, et surtout dans le domaine de la responsabilité. Avec lui, désormais « toutes les pertes et tous les dommages qui peuvent arriver par le fait de quelque personne, soit imprudence, légèreté, ignorance de ce que l'on doit savoir, ou autres fautes semblables, si légères qu'elles puissent être, doivent être réparées par celui dont l'imprudence ou autre faute y a donné lieu. Car c'est un tort qu'il a fait, quand même il n'aurait pas eu l'intention de nuire » (Lois civiles, II).

Pour dégager de telles règles, Domat a dû se détacher de la conception du droit romain et, pour cela, le repenser en fonction des principes de la religion et des nécessités de son temps. Selon lui, deux principes rendent compte des structures de la société : l'amour de Dieu et l'amour de son prochain. Partant de ce postulat, il élabore sa théorie des engagements issus de l'état de la société : engagements familiaux et extra-familiaux. La place faite à la religion, et qui explique la très grande faveur de son œuvre à l'époque, le dessert, en revanche, de nos jours.

Paradoxalement, c'est surtout pour son aspect négatif que l'œuvre de Domat présente aujourd'hui un intérêt. Iconoclaste à sa manière, il conteste le Corpus juris civilis dans le fond, en raison de ses archaïsmes, comme il le conteste dans la forme, en publiant le premier traité juridique écrit non plus en latin mais en français. Il apparaît ainsi le champion de la gallicisation du droit. S'efforçant d'adapter au présent des règles sclérosées, Domat a des vues généreuses, sinon idéalistes : sincérité et bonne foi dans les contrats, équité et respect du droit d'autrui ; si les droits de chacun sont mieux respectés, ses devoirs sont bien précisés. De tels principes seront particulièrement utiles pour pondérer l'individualisme issu de la Révolution française (Y. Ranjard, La Responsabilité civile dans Domat).

Et cependant, « il n'est pas douteux que l'œuvre de Domat, à l'intersection de courants historiques très divers, représente la principale mise au point classique du libéralisme, avant l'effervescence du xviiie siècle » (P. Legendre, Domat, théoricien de l'État gendarme). Tout en reconnaissant que, dans la réalité concrète, droit public et droit privé relèvent tous deux de la « police universelle de la Société », Domat considère le droit public comme une discipline juridique autonome (R. Maspétiol, Jean Domat : une doctrine de la loi et du droit public). Face à un absolutisme royal qui atteint son paroxysme, le magistrat montre fermement que la réglementation du droit privé n'est pas à la discrétion de l'État. Profondément convaincu de la suprématie du contrat dans les rapports entre particuliers, Domat estime que les pouvoirs publics doivent agir afin de faciliter « l'usage des ventes et des échanges, pour faire passer à chacun les choses dont il a besoin ». L'État ne peut donc intervenir qu'en prenant en considération « la liberté du commerce » (Droit public, I).

Il ne saurait être question de comparer le libéralisme de Domat à celui qui aura cours au xixe siècle, les conditions sociales et économiques, en raison notamment de la révolution industrielle, étant radicalement différentes. Homme de son temps par excellence, Domat n'en a pas moins un sens profond de l'évolution des mœurs et des institutions, ce qui est assez exceptionnel chez un doctrinaire. Ses œuvres sont cependant plus souvent citées que lues et il n'a pas eu d'influence directe sur les codifications modernes. Le [...]

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Pour citer cet article

Jehan de MALAFOSSE. DOMAT JEAN (1625-1696) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • RESPONSABILITÉ (droit) - Responsabilité civile

    • Écrit par Universalis, André TUNC
    • 5 852 mots
    ...particuliers. L'idée que toute faute doit imposer la réparation du dommage qu'elle cause se développe dans le droit canonique. Elle est exprimée par Jean Domat au xviie siècle avec la plus grande clarté. Domat définit aussi la faute comme un comportement différent de celui qu'aurait eu dans les mêmes...

Voir aussi