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BACHMANN INGEBORG (1926-1973)

« Ingeborg Bachmann est la première femme de la littérature de l'après-guerre des pays de langue allemande qui, par des moyens radicalement poétiques, a décrit la continuation de la guerre, de la torture, de l'anéantissement, dans la société, à l'intérieur des relations entre hommes et femmes » (Elfriede Jelinek). Ingeborg Bachmann est née en 1926 en Autriche, à Klagenfurt, la ville de Robert Musil. Elle mourra prématurément en 1973, à Rome. Mort accidentelle ou provoquée, nul ne le sait vraiment. Mais il est un fait : la mort, la mort violente et la violence de la mort sont inscrites au cœur de son œuvre, tant dans la poésie que dans la prose. Plus qu'un thème, il s'agit ici d'une obsession.

Affronter l'insurmontable passé nazi

Comme de nombreux écrivains de langue allemande auxquels elle a été liée, Bachmann appartient à cette génération dont l'enfance et l'adolescence ont été saccagées par le nazisme. Née dans un milieu pro-nazi, elle essaiera dans plusieurs textes de caractère autobiographique (Biographisches, 1951 ; Jugend in einer österreichischen Stadt, 1961) de refouler la honte qu'elle en a éprouvée. Dès ses premiers récits (Der Honditschkreuz, La Croix de Honditsch, 1943 ; Die Fähre, Le Passeur, 1946), comme dans certains de ses poèmes, le thème de la frontière est omniprésent : frontière entre l'Autriche et la Slovénie, entre la langue allemande et la langue slovène, entre la culture austro-allemande et la culture slovène-slave. À la fin des années 1940, alors qu'elle était étudiante à Vienne et encore inconnue, elle écrit un roman, Stadt ohne Namen (Ville sans nom), dans lequel elle essaie de rendre compte de la vérité sur son père. À l'exception de deux fragments, dont seul le Fragment d'Anna a été publié à titre posthume en 1995, l'auteur a détruit ce roman. Vingt ans plus tard elle reviendra sur ce conflit douloureux entre le besoin impératif de dire la vérité et la douleur d'avoir à révéler une vérité qui lui fait honte.

C'est dans le décor du film de Carol Reed, Le Troisième Homme, qu'Ingeborg Bachmann, étudiante, arrive en 1946 à Vienne. Une chape de silence étouffe alors la société autrichienne. Selon l'expression de l'écrivain autrichien Alexander Lernet-Holonia, la vie a repris « là où les rêves d'un fou l'ont interrompue ». Dans cette ambiance de refoulement et de silence sur le passé, des accents nouveaux se font entendre dans les revues Plan et Lynkeus (qui publiera en 1948 les quatre premiers poèmes de Bachmann), dans le groupe de jeunes écrivains qui se réunit autour de Hans Weigel au Café Raimund et que la jeune femme rejoint dès 1947. Tout en travaillant à la radio, elle poursuit ses recherches poétiques et écrit une première pièce radiophonique (diffusée en 1952), Ein Geschäft mit den Träumen (Commerce de rêves).

Elle fait la connaissance de Paul Celan, à Vienne dans ce contexte de l'après-guerre. C'est probablement dans le dialogue littéraire avec lui qu'elle trouve sa voix – et sa voie – de poète. Non pas qu'elle ait été « influencée » par l'écriture poétique et les images de la langue de Celan. Mais la rencontre avec un poète juif, survivant, dont les parents ont été assassinés à Auschwitz et qui a placé au cœur de sa réflexion et de son écriture, « Das Geschehene », ce qui a eu lieu, l'extermination des Juifs, provoque chez elle un retournement complet, une « conversion » de sa pensée et de son écriture. Elle est l'une des premières à reconnaître l'importance de la philosophie de Wittgenstein. En 1950, elle soutient sa thèse sur « La réception critique de la philosophie existentielle de Martin Heidegger ».

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Écrit par

  • : directrice de l'association Les Amis du roi des Aulnes, traductrice

Classification

Pour citer cet article

Nicole BARY. BACHMANN INGEBORG (1926-1973) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • ALLEMAND THÉÂTRE

    • Écrit par Philippe IVERNEL
    • 8 394 mots
    • 2 médias
    ...radiophonique (le Hörspiel) qui donne une originalité à la période : dans Rêves de Günter Eich (1951) aussi bien que dans Le Bon Dieu de Manhattan d'Ingeborg Bachmann (1958), la réalité se fracture et laisse apercevoir une quatrième dimension quand le sujet part en quête de lui-même et d'autrui....
  • AUTRICHE

    • Écrit par Roger BAUER, Jean BÉRENGER, Annie DELOBEZ, Universalis, Christophe GAUCHON, Félix KREISSLER, Paul PASTEUR
    • 34 125 mots
    • 21 médias
    ...Lavant (1915-1973), Paul Celan (né à Czernowitz, en Bucovine, en 1920, passé à l'« Ouest » par Vienne en 1947 et mort à Paris en 1970), Ingeborg Bachmann (1926-1973), Ernst Schönwiese (1905-1990). Un autre genre caractéristique de l'époque fut la prose poétique où, à côté d'Ingeborg Bachmann,...
  • GROUPE 47

    • Écrit par Pierre GIRAUD
    • 2 698 mots
    • 1 média
    ...célèbre nouvelle Histoire d'un miroir (Spiegelgeschichte), est couronnée en 1952. L'année suivante, la romancière et poétesse autrichienne Ingeborg Bachmann est distinguée à son tour. Martin Walser reçoit le prix en 1955, Günter Grass en 1958. Sa lecture d'extraits du Tambour (...

Voir aussi