BACHMANN INGEBORG (1926-1973)
Paul Celan, Hans Werner Henze, Max Frisch
L'œuvre de Bachmann et celle de Celan entretiennent un dialogue constant, dense, intense, crypté, dans lequel tout est signe et tout fait sens : un univers de mots, de poèmes qui se répondent et laissent deviner tout un réseau de correspondances. Dans la Vienne de ces années-là, se revendiquer d'une tradition juive est très problématique, revendiquer une identification à cette tradition l'est tout autant. Pour Ingeborg Bachmann, la voie est semée d'embûches. Écrire après Auschwitz, exposer un « Je » féminin représentaient une gageure qui frisait l'impossible.
Les écrivains allemands du Groupe 47 qui l'invitent en 1952 lui décernent dès l'année suivante leur prix. Ses poèmes – Die gestundete Zeit (Le Temps en sursis) – paraissent la même année. Ils sont unanimement salués par le public et la critique qui voit en elle « la » représentante de la jeune littérature allemande.
En 1953, Ingeborg Bachmann quitte l'Autriche pour l'Italie, l'île d'Ischia d'abord, où réside le compositeur Hans Werner Henze, puis Rome qui sera sa résidence privilégiée jusqu'à sa mort. Elle y écrira la plupart des poèmes qui paraîtront en 1956 sous le titre Anrufung an den grossen Bären (Incantation à la grande ourse) et des pièces radiophoniques dont Die Zikaden (Les Cigales, diffusée en 1955 avec une musique de H. W. Henze). Elle ne cessera jamais d'écrire des poèmes, dont certains comme La Bohême est au bord de la mer comptent parmi les plus beaux, mais ne les publiera plus en recueil. Désormais, ses principaux travaux seront en prose, l'amenant à renoncer à l'écriture métaphorique pour une forme plus dépouillée.
De son amitié avec Hans Werner Henze naît une collaboration artistique fructueuse : Bachmann écrit les poèmes des Nachtstücke und Arien (Nocturnes et arias, 1957), il compose la musique pour ses pièces radiophoniques, en particulier Der Gute Gott von Manhattan (première diffusion en 1958) pour lequel elle obtient le prix des Aveugles de guerre en 1959. À cette occasion, Bachmann prononce un discours qui reste l'une des pièces maîtresses de son œuvre Dem Menschen ist die Wahrheit zumutbar (On peut exiger de l'homme qu'il affronte la vérité). La même année, elle donne ses premières conférences à l'université de Francfort-sur-le-Main. Dans ces différents textes, elle aborde les rapports de l'art et de la morale, de la langue et de l'histoire et renverse la relation du Moi à l'histoire telle que la modernité l'avait instaurée : le sujet n'est plus plongé malgré lui dans l'histoire, c'est l'histoire qui s'impose au cœur du sujet. Il n'y a pas « de monde nouveau sans langue nouvelle », conclut-elle. La guerre, comme affirmation de la toute puissance masculine, et élément destructeur du principe féminin, constitue le fil conducteur de son discours lors de la remise du prix radiophonique des Aveugles de guerre : la guerre qui perdure, parce qu'elle a souillé l'univers des mots, des idées et des modes de représentation. Ainsi la publication d'un premier recueil de nouvelles en 1961, Das dreissigste Jahr (La Trentième Année), est-elle mal reçue par la critique parce qu'il dénonce la persistance du passé nazi dans le présent de l'après-guerre, la violence et la guerre des sexes.
À l'occasion de la première diffusion de Der Gute Gott von Manhattan, Ingeborg Bachmann fait la connaissance de l'écrivain zurichois Max Frisch. Son roman Malina nous livre la date du début de leur liaison, sans en évoquer la fin qui laissa Ingeborg Bachmann d'autant plus anéantie qu'elle se reconnut, et se sentit trahie, dans le roman Mein Name sei Gantenbein (Le Désert des miroirs) de Frisch. Toujours est-il que l'année 1962 inscrit[...]
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Écrit par
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: directrice de l'association
Les Amis du roi des Aulnes , traductrice
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