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HÉDONISME

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Grandeur et décadence de l'hédonisme

L'influence de penseurs aussi vigoureux et habiles que Platon et Aristote ne pouvait manquer d'infléchir et de corroder de l'intérieur les thèses du cyrénaïsme primitif. Platon, s'attachant à garantir au plaisir un statut positif, préserve par là même le souverain bien de la contamination des plaisirs qui participent de l'infini et de la douleur ; le détour par le savoir est dès lors essentiel, qui en appelle à une métaphysique et à une anthropologie. Aristote semble faire l'économie de ce détour, mais le caractère indissociable de l'acte et du plaisir qui l'accompagne et le perfectionne fait de la pratique ou recherche de la vérité, et de l'acte de connaître en particulier, l'équivalent de la vertu elle-même, du moins telle que l'entendaient les cyrénaïques. Platon et Aristote ont donc en commun d'effacer ou d'estomper la portée réelle de la thèse d'Aristippe : celui-ci ne vise pas à proposer une morale, mais une sagesse dont l'amoralité constitue le fer de lance dirigé contre la spéculation philosophique et sa prétention à construire rationnellement un idéal de vie. Somme toute, l'hédonisme radical, seul digne de ce nom, suggère que l'amoralité a partie liée avec l'impensable et l'irrationnel, et les discours et le savoir avec le pouvoir et les institutions.

La lignée cyrénaïque

Aussi les épigones d'Aristippe sont-ils amenés insensiblement soit à adultérer la notion de plaisir en faisant de celle-ci l'objet d'une représentation et d'un savoir pondéré, soit à tirer les conséquences – ce qui est encore spéculer – qu'entraîne le privilège injustifié qui est accordé à cette notion. S'il n'y a rien de vrai que l'impression subjective individuelle, il n'existe pas non plus de conditions objectives de la jouissance ; celle-ci est circonstancielle et le bonheur, somme des plaisirs, ne peut être atteint. Hégésias, vers le iiie siècle avant J.-C., sombre dans une sagesse pessimiste : à l'adhésion franche et massive au plaisir se substitue une quête du bonheur sous la forme de calculs et de combinaisons sordides des plaisirs et des peines. Dans cette lignée s'inscriront les « hédonistes » de l'époque moderne. Jeremy Bentham, par exemple, associe aux thèses hédonistes les premières versions des principes économiques de l'utilité, et John Stuart Mill la doctrine pragmatiste ; dans leur optique, l'homme s'oriente naturellement vers la recherche du plus haut niveau de satisfaction pour un effort donné ; la détermination rationnelle du profit maximal réalise de surcroît un optimum social. De telles considérations, en raison des difficultés théoriques qu'elles soulèvent, subvertissent l'enseignement cyrénaïque primitif, ou du moins le discréditent. Hégésias en vient à pérorer sur les injustices du destin, à professer l'abstinence, l'absolue tolérance et une résignation dont l'aboutissement logique, la forme extrême, sera le suicide. À la même époque, si le plaisir pour Anniceris demeure le bien suprême et accuse encore le discrédit de la raison, un recours contre les conséquences extrêmes du plaisir nécessite des palliatifs ; aussi Anniceris recommande-t-il de soigner l'éducation en suscitant chez les individus de bonnes habitudes et l'intérêt pour autrui et la patrie. Son disciple, Théodore l'Athée, laisse entrevoir l'influence stoïcienne : il insiste sur la supériorité du sage, soulignant la nécessité du détachement vis-à-vis des maux comme des biens ; mais son enseignement conserve de l'hédonisme primitif une certaine virulence critique qui le distingue des stoïciens et l'apparente aux cyniques ; il passe pour avoir nié l'existence des dieux et inspiré, en cela,[...]

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Écrit par

  • : agrégé de l'Université, assistant au département de philosophie de l'université de Poitiers

Classification

Pour citer cet article

Henri WETZEL. HÉDONISME [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Article mis en ligne le et modifié le 14/03/2009

Média

Cratère, vase grec, banquet - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Cratère, vase grec, banquet

Autres références

  • ARISTIPPE DE CYRÈNE (425-355 av. J.-C.)

    • Écrit par
    • 169 mots

    Disciple de Socrate, fondateur de l'école cyrénaïque. Les écrits d'Aristippe de Cyrène sont tous perdus, mais on possède à son sujet de nombreuses anecdotes (« chries ») ou paroles fameuses prononcées dans une situation typique. Diogène Laërce, qui en a conservé beaucoup (...

  • L'ART DE JOUIR, Julien Offray de La Mettrie - Fiche de lecture

    • Écrit par
    • 1 059 mots

    L'Art de jouir se veut le développement lyrique et raisonné d'une thèse partout présente dans l'œuvre et dans la vie du médecin et philosophe français Julien Offroy de La Mettrie (1709-1751). Elle apparaît sous une forme succincte et péremptoire dans L'Homme machine, son...

  • BIEN, philosophie

    • Écrit par
    • 6 623 mots
    • 1 média
    ...recherche du bien. Un autre élément caractéristique de l'utilitarisme est ici décisif. Le bonheur dont il est question n'est pas le bonheur de l'individu. À l'hédonisme psychologique (à savoir que les actions humaines sont accomplies pour la recherche du bonheur), il associe parfois un hédonisme éthique...
  • BONHEUR

    • Écrit par
    • 7 880 mots
    ...l'âme (la joie). Du bonheur, nous n'avons en effet, sauf le sage, aucune expérience positive ; du plaisir, dirait Épicure, aucune expérience négative. C'est donc le plaisir, non le bonheur, qui est le bien premier : le bonheur ne serait rien sans le plaisir, quand le plaisir, sans bonheur, est encore...
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