Abonnez-vous à Universalis pour 1 euro

LUKÁCS GYÖRGY (1885-1971)

L'adhésion au stalinisme et ses conséquences

Une tentative de conciliation

Lorsque le conflit avec l'Internationale communiste éclate, Lukács adopte une position qui correspond à une sorte de gentleman's agreement : il renonce à exprimer sa pensée, le Parti renonçant de son côté à lui demander ce qu'il pense. C'est après l'arrivée de Hitler au pouvoir que Lukács reprendra le cours de ses publications, commençant une œuvre qui l'amènera périodiquement à des autocritiques extrêmement controversées. De cette œuvre considérable par son étendue, et qui contient à la fois des analyses de très grande valeur et d'autres très contestables, il faut se contenter de mentionner celle qui paraît la plus importante. Au moment où Lukács recommence à écrire, la pensée communiste est marquée par l'élimination du trotskisme et l'essor de la dictature et de la théorie staliniennes. Or, dans sa critique et son analyse du stalinisme, Trotski avait caractérisé celui-ci comme bonapartisme, ce concept désignant pour lui non seulement Bonaparte mais une réalité universelle, celle des dictatures postrévolutionnaires. Les staliniens avaient toujours nié le caractère bonapartiste du régime soviétique et refusaient intégralement l'analyse trotskiste, dont la seule mention constituait, dans les partis communistes, un crime de haute trahison. Lorsque, devant la menace hitlérienne, Lukács adhère au stalinisme, il développe une synthèse originale de ces deux positions. En fait, il admet l'analyse trotskiste du stalinisme comme bonapartisme, mais, contrairement à Trotski, met l'accent sur le fait que, vus dans une perspective globale, Napoléon et la France napoléonienne font partie de la Révolution française et s'expliquent dans une large mesure par la pression militaire du monde réactionnaire extérieur et par la nécessité de défendre, face à lui, les conquêtes essentielles de la Révolution.

Inutile de dire que, dans le cadre du Parti communiste, cette analyse ne pouvait être exprimée directement. Aussi, à quelques rares exceptions près, Lukács cesse-t-il d'aborder des sujets proprement politiques et se cantonne-t-il dans le domaine de la critique littéraire et de la pensée philosophique. Pour développer cependant l'analyse que nous venons de mentionner, Lukács écrira un certain nombre d'études sur la littérature et la pensée classique allemandes dont il renouvelle complètement la connaissance en montrant les liens étroits, tant historiques que sociologiques, qui les rattachent à la Révolution française. C'est ainsi qu'il sera conduit à montrer le caractère central qu'ont eu pour cette littérature et cette pensée les deux dictatures jacobine et napoléonienne, et le fait que deux écrivains seulement, Goethe et Hegel, ont intégré dans leur jugement le fait napoléonien en tant qu'aspect de la Révolution française et se sont, malgré toutes leurs réserves, ralliés à lui. Et Lukács suggère que c'est précisément pour cette raison qu'ils ont représenté l'un et l'autre le sommet de la culture classique allemande sur les plans respectivement de la littérature et de la philosophie.

La création culturelle

Sur le plan méthodologique, ces analyses l'amènent à poser le problème des conditions favorables à la création culturelle que peut constituer le retard économique, social et politique d'une société : c'est parce qu'elle ne pouvait pas faire la révolution en Allemagne que l'aile radicale de la bourgeoisie allemande et ses intellectuels – qui ont vécu intensément cette problématique – ont créé la plus grande expression culturelle d'une révolution que la bourgeoisie française, trop engagée dans l'action, pouvait difficilement fournir sur le plan littéraire et philosophique.

Lukács l'essayiste[...]

La suite de cet article est accessible aux abonnés

  • Des contenus variés, complets et fiables
  • Accessible sur tous les écrans
  • Pas de publicité

Découvrez nos offres

Déjà abonné ? Se connecter

Écrit par

  • : directeur d'études à l'École pratique des hautes études

Classification

Pour citer cet article

Lucien GOLDMANN. LUKÁCS GYÖRGY (1885-1971) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

György Lukács - crédits : Hulton-Deutsch/ Corbis Historical/ Getty Images

György Lukács

La république des Conseils en Hongrie - crédits : Topical Press Agency/ Getty Images

La république des Conseils en Hongrie

Le soulèvement hongrois d'octobre 1956 - crédits : Hulton-Deutsch Collection/ Corbis/ Getty Images

Le soulèvement hongrois d'octobre 1956

Autres références

  • CONSCIENCE DE CLASSE

    • Écrit par Michel LALLEMENT
    • 986 mots

    L’expression « conscience de classe » appartient au répertoire marxiste. Afin de définir une classe sociale, Karl Marx ne s’en tient pas à l’unique critère de la place occupée dans le rapport de production. En reprenant à son compte une sémantique hégélienne, il propose aussi de distinguer...

  • CRITIQUE LITTÉRAIRE

    • Écrit par Marc CERISUELO, Antoine COMPAGNON
    • 12 918 mots
    • 4 médias
    ...critique marxiste, faisant de la littérature et de l'art un reflet de la situation économique, de la superstructure un décalque de l'infrastructure. De György Lukács à Lucien Goldmann, cette doctrine est devenue plus complexe, dès lors qu'elle a vu les sujets de la création dans les groupes et non...
  • DÉVIATIONNISME

    • Écrit par Jacques ELLUL
    • 555 mots

    Lors de la critique par Kautsky de la théorie de Bernstein était apparu le concept d'opportunisme, qui allait être largement élucidé par Lénine. Celui de déviationnisme fut introduit un peu plus tard, lorsque la théorie du centralisme démocratique dans les partis communistes se...

  • ESTHÉTIQUE - Histoire

    • Écrit par Daniel CHARLES
    • 11 892 mots
    • 3 médias
    Voisine, mutatis mutandis, d'une telle normativité, l'esthétique de tendance marxiste, préoccupée de vérifier que l'humanité ne se pose que les problèmes qu'elle peut résoudre (Marx), est conduite, chez un Lukács (Prolégomènes à une esthétique marxiste, 1957), à prôner...
  • Afficher les 12 références

Voir aussi