GRAMMAIRES COGNITIVES
La dénomination « grammaires cognitives » a été donnée à un courant de recherches linguistiques né sur la côte ouest des États-Unis dans les années 1980, et initié par d'anciens tenants de la grammaire générative de Noam Chomsky. Les représentants les plus connus de ce courant, désormais très bien implanté au niveau international, sont George Lakoff, Ronald Langacker, Leonard Talmy et Gilles Fauconnier.
Les fondements théoriques des grammaires cognitives se démarquent radicalement de ceux de la grammaire générative. Le langage est ici conçu, non pas comme une faculté autonome innée mettant en jeu des propriétés calculatoires spécifiques, mais comme la manifestation de mécanismes très généraux, également à l'œuvre dans d'autres activités cognitives, comme la perception visuelle ou l'expérience sensori-motrice. C'est pourquoi, refusant d'accorder une place centrale à la syntaxe, les grammaires cognitives s'attachent à élaborer une théorie sémantique globale ayant vocation à constituer une alternative aux grammaires formelles, auxquelles il est reproché d'appauvrir la matière linguistique et, en définitive, de déformer les phénomènes.
Une approche configurationnelle
Pour les tenants des grammaires cognitives, la grammaire ne constitue pas un « module » autonome sur lequel se grefferait une composante sémantique assurant l'interprétation des symboles lexicaux et des constructions syntaxiques ; elle est, au contraire, intrinsèquement signifiante, dans la mesure où elle structure et exprime des contenus sémantiques. On comprend, dès lors, l'importance accordée aux phénomènes de perception visuelle et de construction d'images, en liaison avec les processus de symbolisation linguistique : dans tous les cas, c'est en effet l'aptitude générale à représenter une même situation sous des angles différents qui est en jeu.
Si l'activité de langage consiste à construire des structures sémantiques complexes (« représentations cognitives », « structures conceptuelles » ou « espaces mentaux » selon les auteurs), il revient alors au linguiste de caractériser la façon dont les unités linguistiques se combinent pour produire de telles structures. La sémantique grammaticale proposée est qualifiée de « configurationnelle », car la grammaire est réputée organiser les différents éléments de l'énoncé en vue de construire une « configuration », c'est-à-dire une scène complexe cohérente. Cette manière de concevoir la grammaire constitue sans doute l'apport le plus original des grammaires cognitives.
Dans la théorie de R. Langacker (Foundations of Cognitive Grammar, 1987 et 1991), des schémas diagrammatiques permettent de représenter les relations topologiques et cinématiques constitutives, selon lui, du sens grammatical. Chaque différence de forme induisant une différence dans la représentation construite, jamais deux énoncés ne correspondent exactement à la même configuration. Par exemple, « Le tableau est au-dessus du radiateur » et « Le radiateur est au-dessous du tableau » décrivent la même situation, mais l'appréhendent différemment. À l'intérieur du diagramme correspondant, la relation géométrique statique entre le tableau et le radiateur (disposés le long d'un axe vertical) sera donc marquée comme asymétrique : dans le premier énoncé, le radiateur est le repère permettant de situer le tableau ; dans le second, les rôles sont inversés.
Reprenant à la théorie de la Gestalt l'opposition entre « figure » et « fond », R. Langacker distingue, dans une configuration, les éléments saillants (dits « profilés ») qui se détachent sur un fond (appelé « base »). Grâce à cette notion de profilage, il est possible de rendre compte, par exemple, des différences de sens entre « Jean a prêté son livre à Laure » et « Laure[...]
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Écrit par
- Catherine FUCHS : directrice de recherche émérite au CNRS
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