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GRAFFITI

Fonction sociale

Si l'art est un moyen de démocratisation, comme le voudraient certains théoriciens des sciences sociales, les graffiti figuratifs constituent un corpus précieux, susceptible d'indiquer une des voies par lesquelles l'art pourrait être exploité dans le but de rapprocher les hommes. Il serait en fait trop audacieux d'avancer que les graffiti constituent en eux-mêmes un moyen de démocratisation, mais on doit remarquer que les auteurs des graffiti modernes, au moins en France, n'ont pas attendu l'expérimentation de cette théorie pour développer un système de signes graphiques permettant la communication d'idées et de sentiments difficilement exprimables par d'autres moyens. Les surfaces se trouvant dans le domaine public, loin de n'être que « le papier de la canaille », comme le déclara autrefois un esprit autoritaire, représentent en quelque sorte un forum libre où tous peuvent s'exprimer, quoique la loi l'interdise.

Les graffiti érotiques de notre époque : les phallus et vulves, les nus et les grossièretés que l'on trouve sur les murs sont parfois pornographiques ; cela n'empêche qu'ils correspondent à une évolution des mœurs qui a réintégré la sexualité dans notre représentation collective comme un fait normal. Par contre, quand la publicité essaie d'exploiter la sexualité, les graffiti sur affiche publicitaire peuvent assumer le rôle d'une critique publique, le plus souvent en ridiculisant la publicité comme pour faire comprendre qu'on n'en est pas dupe. On a pu voir, par exemple, sur une affiche qui vantait une marque de bière, un homme jeune, musclé, bronzé, qui porte un chandail à col roulé blanc et des lunettes noires (symboles du sportif) ; une bouteille de bière dont l'étiquette mise en évidence est suspendue, comme une décoration, à un ruban passant autour de son cou ; le message graphique que l'auteur de l'affiche voudrait communiquer semble être : cette bière s'associe à la jeunesse, à la santé, au bien-être, à la vie sportive, etc. La réponse de l'auteur du graffite trouvé sur cette affiche détourne le symbolisme des lunettes noires : « Porter, la bière qui rend aveugle ». De nombreuses affiches représentant des jeunes femmes plus ou moins déshabillées, dans des attitudes provocantes, sont commentées par un seul mot : « sale », « malpropre », « vendue », etc. Un graffite figuratif peut servir le même but : sur une affiche publicitaire pour une marque de sous-vêtements masculins, le slip porté par un homme jeune et vigoureux reste en blanc, donnant l'impression d'un morceau sans relief découpé dans l'affiche. Le « commentaire », placé à l'endroit du sexe, est une représentation de vulve accompagnée d'un point d'interrogation.

Les graffiti politiques forment une autre classe dont la fonction sociale s'est dévoilée au moment des événements qui ont eu lieu dans les milieux estudiantin et ouvrier de plusieurs pays au cours du printemps 1968. Avec ces graffiti linguistiques, le mur sert de support encore une fois à la contestation qui éclate en slogans ou en sigles (cf. Les murs ont la parole, Tchou, Paris, 1968). Mélangé à ces manifestations usuelles, on découvre parfois un message moins banal, moins stéréotypé, tel que celui trouvé dans la cour de la Sorbonne pendant l'hiver 1969 : « Si vous avez des problèmes, écrivez sur les murs. » Les graffiti politiques sont souvent beaucoup plus sévèrement jugés que les autres, y compris les graffiti pornographiques. Ils semblent inquiéter quand ils deviennent suffisamment nombreux pour témoigner de l'existence d'une opposition active aux gouvernements. Ils sont réprimés avec énergie et ils attirent à leurs auteurs des peines sévères dans toute nation totalitaire, où ils sont[...]

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Écrit par

  • : professeur de criminologie et de justice pénale à l'université du Missouri, Saint Louis (États-Unis)
  • : professeur de criminologie et de justice pénale à l'université du Missouri, Saint Louis (États-Unis)
  • : docteur en ethnologie de l'université de Paris
  • Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis

Classification

Pour citer cet article

Glen D. CURRY, Scott H. DECKER, Universalis et William P. MCLEAN. GRAFFITI [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Graffiti à New York - crédits : L. Morin

Graffiti à New York

Autres références

  • ART URBAIN

    • Écrit par Stéphanie LEMOINE
    • 2 727 mots
    • 4 médias
    ...en effet sur la côte est des États-Unis un mouvement esthétique promis à une diffusion internationale : le writing (nom donné par les Anglo-Saxons au graffiti d'inspiration new-yorkaise et que les graffeurs préfèrent à celui, trop générique, de graffiti). Porté par l'essor du Civil Rights Movement,...
  • BANKSY (1974- )

    • Écrit par Stéphanie LEMOINE
    • 1 126 mots
    ...classe ouvrière, les très rares personnes qui acceptent d'évoquer sa biographie disent qu'il appartiendrait à la classe moyenne. À l'âge de quatorze ans, il se mêle à la scène graffiti du quartier de Barton Hill (Bristol), mais s'écarte rapidement des normes esthétiques du milieu, qui proscrit toute autre...
  • BASQUIAT JEAN MICHEL (1960-1988)

    • Écrit par Élisabeth LEBOVICI
    • 963 mots
    ...cartes postales et de sweat-shirts illustrés – le rapprochent d'une forme de culture populaire extrêmement vivace dans le New York des années 1970 : les graffitis. Organisés en une société hiérarchisée, les auteurs de Tags (« signatures ») doivent franchir toutes sortes d'épreuves avant de pouvoir...
  • BRASSAÏ GYULA HALÁSZ dit (1899-1984)

    • Écrit par Anne de MONDENARD
    • 1 866 mots
    • 1 média
    Parallèlement, depuis 1932, Brassaï photographie desgraffitis anonymes dessinés ou gravés sur les murs de la capitale. Il s'agit d'« objets trouvés » repérés lors de ses marches et rassemblés pour leur valeur poétique. On y voit des visages bruts, qui font écho à ceux des personnages étranges rencontrés...
  • Afficher les 12 références

Voir aussi