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SEMPER GOTTFRIED (1803-1879)

Architecte allemand, Semper est, avec Schinkel, l'un des plus importants représentants de l'historicisme romantique allemand, mais aussi l'un des tout premiers fonctionnalistes, et un grand théoricien de l'architecture.

Né à Hambourg, formé à Munich et à Paris, ayant voyagé en Italie et en Grèce (il écrit sur la polychromie dans l'architecture grecque, polychromie qu'il sera l'un des premiers à préconiser pour l'architecture moderne), Semper connaît parfaitement l'histoire de l'architecture lorsqu'il obtient une chaire à l'Académie de Dresde (1834). Cette ville possède son œuvre la plus célèbre, l'Opéra (où Wagner remportera ses premiers succès) : édifié en 1837-1841, il sera reconstruit par Semper en un style différent après l'incendie de 1869. La première version, de facture néo-Renaissance (relents de palladianisme), laissait voir de l'extérieur la fonction et l'organisation interne du bâtiment : façade courbe (semi-circulaire) évoquant l'emplacement réservé au public. La seconde version (1871-1878) est néo-baroque ; sans changer la configuration générale de l'édifice, elle ne démontre plus le rôle de ses différentes parties (et la raison de leur agencement), la décoration y reprenant figure de masque. Curieux retournement, car Semper est l'un des rares architectes du xixe siècle, surtout dans le mouvement de l'historicisme romantique, à penser l'« ornement » (il aura une grande influence sur Loos) et à le penser en termes structuraux : la décoration ne doit pas être plaquée, mais elle doit jouer un rôle par rapport à une fonction globale de l'édifice et s'adapter historiquement, spatialement à la configuration du bâtiment. Semper édite une revue dont le titre est significatif (si on le rapproche du nom du groupe hollandais, De Stijl, gravitant autour de Mondrian), Der Stil (1861-1863), dont le thème principal est que tout détail signifie et que rien, dans un bâtiment comme dans la vie quotidienne, n'est accessoire ou indifférent. C'est pourquoi il ne faut pas se contenter d'une décoration de façade (comme souvent le néo-classicisme et, plus tard, l'Art nouveau), mais il faut l'organiser et la lier à toute la construction. À cette pensée, que l'on peut qualifier de structuraliste, correspond une métaphore chère au linguiste Saussure : pour Semper, le vêtement (dont il parle dans sa revue) est plus que le vêtement, ce n'est pas une simple enveloppe, car il est chargé de sens ; aussi n'est-ce pas un hasard si Semper est le premier Européen à considérer le tatouage africain comme un art.

Kunsthistorisches Museum, Vienne - crédits :  Bridgeman Images

Kunsthistorisches Museum, Vienne

Mais entre les deux versions de l'Opéra de Dresde s'est écoulé presque un demi-siècle : après la révolution de 1848, Semper, chassé (comme Wagner) de la ville pour son activité politique, se réfugie à Paris, puis à Londres (il prend contact avec les jeunes architectes, aussi bien les héritiers du Gothic Revival que les fonctionnalistes, et il prend la défense du Crystal Palace de Paxton). De cette époque datent les réflexions de Semper sur les relations entre la structure interne des matériaux et la forme, aussi bien dans l'artisanat qu'en architecture, Le Style dans les arts techniques et architectoniques (Der Stil in den technischen und tektonischen Künsten, 1860-1863). En 1855, il se rend à Zurich pour enseigner jusqu'en 1871 au Polytechnikum ; il entreprend alors la reconstruction de l'Opéra de Dresde et la création du Burgtheater de Vienne (qui sera réalisé sur ses plans par von Hasenauer). Mais aucun de ces bâtiments tardifs n'a la justesse (au sens où lui-même l'entendait, selon le principe d'harmonie du néo-classicisme) de ceux de la première période.

— Yve-Alain BOIS

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Écrit par

  • : professeur d'histoire de l'art à l'université Harvard

Classification

Pour citer cet article

Yve-Alain BOIS. SEMPER GOTTFRIED (1803-1879) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

Kunsthistorisches Museum, Vienne - crédits :  Bridgeman Images

Kunsthistorisches Museum, Vienne

Autres références

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    • 7 914 mots
    • 6 médias
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