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BÜCHNER GEORG (1813-1837)

L'ennui

À l'autre pôle, Lenz (1835), l'une des plus grandes nouvelles des lettres allemandes, évoque la marche à la folie du jeune Jacob Lenz, contemporain de Gœthe, en qui l'auteur a deviné un double qui lui ressemble comme un frère. À cette époque-là, écrit-il, la période idéaliste commençait. Or, en 1835, elle agonise, et Büchner se propose de la tuer en affirmant avec le héros de sa nouvelle : « Les poètes dont on prétend qu'ils rendent la réalité sont loin de la comprendre ; cependant ils sont encore plus supportables que ceux qui s'attachent à la transfigurer. » Seuls Shakespeare, les chants populaires et parfois Gœthe mériteraient d'échapper au feu.

Or ce feu dévorant, dans lequel Lenz rêve de jeter les marionnettes de l'idéalisme, va consumer peu à peu l'incendiaire. Au terme de son itinéraire à travers les incandescences de la réalité, Lenz, croyant sans Dieu, athée fervent, rencontre le sentiment qui envahit toute l'œuvre de Büchner : l'ennui. « La plupart des hommes prient par ennui, aiment par ennui, par ennui les uns sont vertueux, d'autres vicieux, moi je ne suis rien, je n'ai même pas envie de mettre fin à mes jours : c'est trop ennuyeux. » Büchner relate avec une précision clinique les derniers soubresauts de cette conscience progressivement anéantie par le terrible sentiment du vide, et pour qui le monde, les autres, le moi lui-même vont peu à peu se réduire à une présence opaque, ou se creuser en un abîme vertigineux comme l'enfer.

Ainsi, le souci des masses et l'isolement onirique, la vitalité de l'instinct et l'indifférence morbide, la révolte et l'ennui coexistent dans cette œuvre. Büchner éprouve en fait, dans une Europe qui accouche péniblement des temps modernes, la grandeur et la misère du matérialisme. Il tord le cou aux mots et aux idées, mais l'idée du matérialisme, les mots mêmes de matière et de matériel se chargent de pathos chez cet écrivain intimement nourri, malgré sa jeunesse, de culture religieuse, philosophique et littéraire. Les personnages de ses drames ne lui ressemblent pas moins que le poète Lenz.

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Pour citer cet article

Philippe IVERNEL. BÜCHNER GEORG (1813-1837) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Média

<em>La Mort de Danton</em> de G. Büchner, mise en scène de Claus Peymann - crédits : Lieberenz/ ullstein bild/ Getty Images

La Mort de Danton de G. Büchner, mise en scène de Claus Peymann

Autres références

  • LA MORT DE DANTON et LENZ, LÉONCE ET LENA (mises en scène)

    • Écrit par Anouchka VASAK
    • 932 mots

    Comment expliquer l'insistante présence de Büchner sur les scènes françaises, notamment lors de la saison 2001-2002 ? Comment expliquer par ailleurs la transposition à la scène de Lenz, ce récit de l'errance du poète allemand dans les vallées vosgiennes ? Pour le dire autrement : à quoi...

  • ALLEMANDES (LANGUE ET LITTÉRATURES) - Littératures

    • Écrit par Nicole BARY, Claude DAVID, Claude LECOUTEUX, Étienne MAZINGUE, Claude PORCELL
    • 24 585 mots
    • 29 médias
    ...son temps et ses propres sentiments. Un autre avait assez milité, lui aussi, parmi les révoltés pour mesurer l'inanité, à cette date, de toute révolte : Georg Büchner (1813-1837), mort du typhus à vingt-trois ans, allait, dans trois pièces et dans un récit inachevé, exprimer son amère pitié pour la créature....
  • DRAME - Drame romantique

    • Écrit par Anne UBERSFELD
    • 4 598 mots
    • 5 médias
    Quant aux pièces de Büchner, elles ne commenceront vraiment à être jouées qu'à partir de la fin du xixe siècle. Elles reflètent le contre-coup du drame romantique français sur le drame allemand. C'est ainsi que Büchner écrit Léonce et Léna (1836), parodie pleine de sens du Fantasio...
  • WOYZECK, Georg Büchner - Fiche de lecture

    • Écrit par Jean-Louis BESSON
    • 883 mots

    Georg Büchner est mort à vingt-trois ans, en février 1837, sans avoir eu le temps de mettre un point final à sa dernière pièce, Woyzeck. Le manuscrit, divisé en quatre parties qui correspondent à différentes phases de travail, n'offre pas une cohérence suffisante pour établir une version fiable...

  • MAYER HANS (1907-2001)

    • Écrit par Philippe IVERNEL
    • 790 mots

    Né à Cologne, dans une famille de la bourgeoisie juive éclairée, Hans Mayer, après des études à Cologne, Berlin et Bonn, est promu docteur en droit en 1930 et se prépare à une carrière de magistrat. Influencé entre autres par la lecture de Lukács (Histoire et conscience de classe), il se...

Voir aussi