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GÉNÉRATION SPONTANÉE

Quelques mois avant de périr sur l'échafaud, Antoine-Laurent Lavoisier proposait à l'Académie des sciences de décerner un prix à qui pourrait répondre aux questions qu'il posait de la façon suivante, où apparaît l'idée de biosphère, sinon le mot : « Les végétaux puisent dans l'air qui les environne, dans l'eau et en général dans le règne minéral les matériaux nécessaires à leur organisation. Les animaux se nourrissent de végétaux, ou d'autres animaux, qui ont été eux-mêmes nourris de végétaux, en sorte que les matériaux dont ils sont formés sont toujours, en dernier résultat, tirés de l'air ou du règne minéral. Enfin, la fermentation, la putréfaction et la combustion rendent continuellement à l'air de l'atmosphère et au règne minéral les principes que les végétaux en ont emprunté.

« Par quels procédés la nature opère-t-elle cette circulation entre les trois règnes ? Comment parvient-elle à former des substances fermentescibles, combustibles et putrescibles avec des combinaisons qui n'avaient aucune de ces propriétés ? »

Ayant ruiné la théorie du phlogistique, ayant prouvé que « rien ne se perd, rien ne se crée » dans la nature, Lavoisier concevait donc le monde vivant comme un système dynamique, mais dans lequel la cause et les modalités de certaines transformations échappaient encore à l'analyse. Par exemple, dans le cas de la fermentation alcoolique qu'il avait étudiée dès 1788, il avait constaté les modalités du phénomène sans en reconnaître la cause.

C'est dans ce contexte que devait renaître, au cours du xixe siècle, un débat fort ancien concernant la génération spontanée. Il s'agit en fait d'un problème fondamental touchant à l'essence même de la vie et à la genèse des choses vivantes. Pourtant, Francesco Redi, en relatant son Esperienze intorno alla generazione degli insetti (1668), avait battu en brèche la « croyance populaire » — remontant en fait à Aristote — « selon laquelle les matières en décomposition engendrent des vers, de telle sorte que la terre ne produit que les plantes et les animaux conçus dès l'origine par le Créateur, par l'intermédiaire de germes qui ont été ensemencés dans les milieux favorables à leur développement ». Lazzaro Spallanzani avait étendu cette conclusion au cas des germes microscopiques en prouvant, en 1770, à l'encontre de J. T. Needham, qu'il suffisait de purger de ces germes (par une ébullition suffisamment prolongée) une infusion riche en matières organiques pour empêcher celle-ci de se putréfier, à condition de sceller le flacon de manière à ce que le liquide y reste stérile.

Une telle démonstration était inacceptable pour les tenants d'une conception ésotérique de la biogenèse, tels que les adeptes du mythe du Golem ou les successeurs de Jan Baptist Van Helmont qui, à l'instar de Paracelse, postulait dans ses œuvres — intégralement publiées en 1648 — l'intervention dans les « transmutations » biologiques d'un principe vital impondérable émanant d'un élément métaphysique, l'archée. Pour défendre la « force végétative », il fallait donc nier l'évidence, et même l'utilisation concrète faite par Nicolas Appert, en 1800 (en vue de la conservation des aliments), des méthodes de Spallanzani. C'est ce que fit pourtant en 1859 Félix Pouchet en relançant l'idée de la génération spontanée des microbes, soutenu par un médecin anglais, Bastian. Ils se heurtèrent à la farouche détermination de Louis Pasteur, qui s'acharna à démontrer « une fois pour toutes et pour toujours » que des produits stérilisés ou des matériaux biologiques aseptiquement prélevés ne fermentaient que s'ils étaient ultérieurement ensemencés par des germes microbiens. Le paradoxe est que Pasteur[...]

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Pour citer cet article

Didier LAVERGNE. GÉNÉRATION SPONTANÉE [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Autres références

  • GÉNÉRATION SPONTANÉE - (repères chronologiques)

    • Écrit par André BRACK
    • 384 mots

    Haute Antiquité Les écrits de Chine, d'Inde, de Babylone, d'Égypte relatent la production de pucerons, de mouches, de crapauds, à partir de bambous, d'ordures, de boue.

    Monde gréco-romain Les philosophes Thalès, Démocrite, Platon, Épicure et Lucrèce développent cette idée. ...

  • GÉNÉRATION SPONTANÉE : FIN D'UNE CONTROVERSE

    • Écrit par André BRACK
    • 290 mots
    • 1 média

    En publiant son ouvrage Hétérogénie, ou Traité de la génération spontanée en 1859, Félix Pouchet, correspondant de l'Institut, définit la génération spontanée comme étant la production d'un être organisé nouveau, dénué de parents, et dont tous les éléments primordiaux ont été tirés...

  • BACTÉRIOLOGIE

    • Écrit par Jean-Michel ALONSO, Jacques BEJOT, Michel DESMAZEAUD, Didier LAVERGNE, Daniel MAZIGH
    • 18 329 mots
    • 11 médias
    ...d'abord, il réussit le premier à cultiver des bactéries dans des flacons contenant du jus de viande, un siècle avant Pasteur. Puis il réfute la thèse de la génération spontanée : les microbes n'apparaissent, dans le jus de viande bouilli, que si le flacon est en contact avec l'air ; ce sont les germes de l'air...
  • EXOBIOLOGIE

    • Écrit par Vassilissa VINOGRADOFF
    • 8 000 mots
    • 4 médias
    ...pendant longtemps l’idée d’Aristote (env. 385-322 av. J.-C.), décrite dans l’Organon, qui considère que la vie peut apparaître soudainement – par génération spontanée –, ainsi les mites dans la laine, les rats dans la farine et le linge sale... Jean-Baptiste Van Helmont (1579-1644) affirme, dans...
  • JOBLOT LOUIS (1645-1723)

    • Écrit par Gabriel GACHELIN
    • 886 mots

    Le naturaliste français Louis Joblot est né à Bar-le-Duc, le 9 août 1645, très probablement dans une famille de marchands relativement aisés. On sait peu de choses sur sa vie et ce que l’on sait vient presque entièrement d’une biographie de 1895 rédigée par Wlodimir Konarski et publiée à Bar-le-Duc....

  • ORIGINE DE LA VIE

    • Écrit par André BRACK
    • 11 477 mots

    De tout temps, l'homme a été intrigué par son origine, et cela l'a conduit à s'interroger sur l'origine de la vie. Pendant des millénaires, il aborda le problème selon une pensée qui l'empêchait d'y voir autre chose que la génération spontanée. Ainsi, dans la...

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Voir aussi