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MURNAU FRIEDRICH WILHELM (1888-1931)

Une esthétique métaphysique

Pour Murnau, les paysages sont des états de l'âme. Il les choisit en extérieur ou il les crée au studio, puis il transmet à travers eux le sentiment éprouvé par les personnages qui s'y meuvent. Il fait jouer le même rôle aux objets. Leur matière, leur place, leurs rapports, leurs mouvements les chargent d'une signification dramatique ou symbolique.

Ses images se situent souvent à la frontière de l'onirique et du réel. Il tire parti d'une atmosphère nocturne pour favoriser la libération des forces inconscientes. Parfois, l'insolite s'y manifeste sans aucun recours aux techniques cinématographiques qu'il manie ailleurs avec virtuosité : éclairages, cadrages, mouvements d'appareil, trucages, montage.

De sa jeunesse, il conserve la nostalgie de la campagne. Ses paysans, pour être stylisés, ne sont jamais ridicules. Tandis que les constructions humaines lui inspirent de l'appréhension, il exalte les éléments naturels et surtout l'eau, purifiante et dissolvante, symbole ambivalent de la naissance et du trépas. Conception métaphysique apparemment dépourvue d'arrière-pensée sociologique, comme est dépourvue de toute psychologie sa conception de la femme, tentatrice qui mène l'homme à sa perte à moins qu'elle ne se rachète en se sacrifiant elle-même. Le dédoublement du protagoniste (le baron et son hôte, le portier et le veilleur de nuit, Faust et Méphisto, l'amant et le prêtre) traduit le conflit entre le licite et l'interdit, préfigurant son issue inéluctable : « Chaque homme a un double et, lorsqu'il le voit, la mort est proche » (Gérard de Nerval).

Les dénouements heureux sont toujours postiches, imposés par les producteurs. L'obsession de la mort est permanente et elle est associée à la transgression des tabous sociaux : un vampire, un vieillard qui perd son emploi, un dévot concupiscent, un savant qui signe un pacte avec le diable, un mari qui veut tuer sa femme, un Polynésien qui enlève une prêtresse ont en commun d'être mis au ban de la société, comme Murnau croyait l'être en raison de son homosexualité, et ne peuvent espérer de rachat de leur vivant.

— Denis MARION

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Pour citer cet article

Denis MARION. MURNAU FRIEDRICH WILHELM (1888-1931) [en ligne]. In Encyclopædia Universalis. Disponible sur : (consulté le )

Médias

Nosferatu le vampire, F. W. Murnau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Nosferatu le vampire, F. W. Murnau

Faust, F. W. Murnau - crédits : Hulton Archive/ Getty Images

Faust, F. W. Murnau

Autres références

  • NOSFERATU LE VAMPIRE (F. W. Murnau), en bref

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 189 mots
    • 1 média

    Si l'expressionnisme cinématographique est né en 1919 avec Le Cabinet du docteur Caligari, de Robert Wiene, il trouve une manière d'accomplissement avec Nosferatu. F. W. Murnau (1888-1931) le fait passer du simple « jeu » esthétique, à une dimension métaphysique, où se déploie la...

  • NOSFERATU LE VAMPIRE, film de Friedrich Wilhelm Murnau

    • Écrit par Jacques AUMONT
    • 981 mots
    • 1 média

    Après de brèves études en histoire de l'art et une courte expérience du théâtre (il croise, chez Max Reinhardt, Conrad Veidt et Ernst Lubistch), Murnau (1888-1931) devient cinéaste à plus de trente ans ; il est l'un des piliers du cinéma allemand, choisi par la puissante firme U.F.A....

  • ALLEMAND CINÉMA

    • Écrit par Pierre GRAS, Daniel SAUVAGET
    • 10 274 mots
    • 7 médias
    ...sera le modèle du film d'horreur de l'époque classique. Sans oublier les chefs-d'œuvre de Fritz Lang, comme Les Trois Lumières (Der müde Tod, 1921), et de F. W. Murnau, comme Nosferatu (1922). Ce dernier intègre ces influences en opérant une fusion très personnelle de lyrisme et de réalisme, nimbée...
  • CINÉMA (Aspects généraux) - Histoire

    • Écrit par Marc CERISUELO, Jean COLLET, Claude-Jean PHILIPPE
    • 21 694 mots
    • 41 médias
    ... (c'est la traduction exacte du titre original des Trois Lumières, 1921, de Fritz Lang : Der müde Tod) et de Nosferatu, le vampire (Friedrich Murnau, 1922), ni le portier d'hôtel « possédé » par son uniforme rutilant dans Le Dernier des hommes (Der letzte Mann, Murnau, 1924) ne peuvent...
  • CINÉMA (Réalisation d'un film) - Photographie de cinéma

    • Écrit par Joël MAGNY
    • 4 334 mots
    • 6 médias
    Pourtant, certains cinéastes, tel Murnau (et son principal chef opérateur, Karl Freund), sauront transposer de façon convaincante les principes dramatiques de la lumière expressionniste dans des décors naturels (certains plans de Nosferatu, par exemple). Progressivement, chassés par la montée du...
  • ÉROTISME

    • Écrit par Frédérique DEVAUX, René MILHAU, Jean-Jacques PAUVERT, Mario PRAZ, Jean SÉMOLUÉ
    • 19 774 mots
    • 7 médias
    ...Tabou (1931), dans lequel Flaherty voulait montrer l'impact de la civilisation sur la nature primitive et que réalisa un autre grand cinéaste, Murnau. Particulièrement voluptueuses, en effet, plutôt qu'érotiques, sont les scènes de pêche au harpon dans la mer, puis de bains sous des cascades et...
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Voir aussi